Renoir » s’avĂšre de fait une magnifique mĂ©taphore du rapport entre peinture et cinĂ©ma, du passage de l’une Ă  l’autre, comme se transmettraient les gĂšnes d’un pĂšre Ă  son fils Au musĂ©e d’Orsay, l’exposition Renoir pĂšre et fils – Peinture et cinĂ©ma », du 6 novembre 2018 au 27 janvier 2019, nous prĂ©sente, en huit sections, l’influence qu’a eu le peintre Auguste Renoir sur son fils le cinĂ©aste. Lui-mĂȘme ne dĂ©clarait-il pas J’ai passĂ© ma vie Ă  tenter de dĂ©terminer l’influence de mon pĂšre sur moi. » Nous pouvons voir de nombreux extraits de films de Jean Renoir oĂč sont mis en rapport des toiles de son pĂšre et de ses amis artistes. Sont prĂ©sentĂ©s Ă©galement des dessins, des cĂ©ramiques, des photographies, des costumes scĂ©niques, des affiches, des manuscrits, des entretiens tĂ©lĂ©visĂ©s. Se livrer Ă  la comparaison de deux artistes pour montrer les similitudes de leurs Ɠuvres est un exercice dĂ©licat. Parfois on en vient Ă  forcer le trait pour atteindre son objectif en notant des liens imaginaires. En ce qui concerne l’exposition Renoir pĂšre et fils », cette mise en relation est plus que justifiĂ©e tant de nombreux films de Jean Renoir 1894-1979 s’inspirent ouvertement de l’univers de son pĂšre, Auguste Renoir 1841-1919, et plus largement de l’impressionnisme et de l’esprit Belle Époque. Cette comparaison est Ă  sens unique, c’est bien le cinĂ©aste qui est comparĂ© au peintre et non l’inverse. En matiĂšre artistique, lorsque l’on a un pĂšre cĂ©lĂšbre, il convient d’éviter d’embrasser la mĂȘme spĂ©cialitĂ©. Ainsi Jean s’est fait un nom en devenant un des plus grands cinĂ©astes, alors qu’Auguste est un des plus cĂ©lĂšbres peintres dans leur genre, ils sont des maĂźtres. Pourtant, Jean Renoir, initiĂ© par son pĂšre, a pratiquĂ© professionnellement dans sa jeunesse la cĂ©ramique dont l’exposition nous prĂ©sente quelques exemplaires, des pots, coupes et vases aux couleurs fauves. Cependant, le fils ne se sentait pas lĂ©gitime Ă  devenir lui-mĂȘme un artiste, car il devinait que la cĂ©ramique ne serait qu’une Ă©tape avant de s’orienter vers la peinture, discipline dĂ©jĂ  occupĂ©e par son gĂ©nie de pĂšre, et, c’est pourquoi, il se tourna vers le cinĂ©ma, considĂ©rĂ© alors comme un artisanat. En effet, le cinĂ©ma, dans les annĂ©es 1920, Ă©tait mĂ©prisĂ© par l’intelligentsia, dans la mesure oĂč les films Ă©taient projetĂ©s dans des baraques foraines. C’est en 1915, lors d’une convalescence, Ă  la suite d’une blessure de guerre, qu’il dĂ©couvrit le cinĂ©ma et, par la mĂȘme occasion, Charles Chaplin, figure dĂ©cisive dans son dĂ©sir de pratiquer cette activitĂ©. En se mariant, en 1920, avec AndrĂ©e Heuschling, le dernier modĂšle de son pĂšre, Jean Renoir note dans ses mĂ©moires Ma vie, mes films 1974 Je n’ai mis les pieds dans le cinĂ©ma que dans l’espoir de faire de ma femme une vedette ». En effet, Catherine Hessling, son nom de scĂšne Ă  consonance anglo-saxonne, avait une fascination pour le cinĂ©ma amĂ©ricain et ses stars sophistiquĂ©es comme Gloria Swanson ou Mary Pickford. C’est pourquoi, Jean la mit en scĂšne dans cinq films muets, Ă  forte tendance expressionniste, dont le plus notable est Nana d’aprĂšs Émile Zola. Tous ces films ne connurent aucun succĂšs et lui coĂ»tĂšrent de nombreux tableaux, une façon de financer ses danseuses que reprĂ©sentaient sa femme et le cinĂ©ma. Il dut attendre le dĂ©but des annĂ©es 1930, et le cinĂ©ma parlant, pour tourner des Ɠuvres significatives qui allaient rencontrer un public Ă©largi et une critique favorable, comme La Chienne 1931 et Boudu sauvĂ© des eaux 1932, films tournĂ©s sans Catherine Hessling qui sortit ainsi par la petite porte de la vie de Renoir. Le pĂšre admirĂ© Parmi les photos reprĂ©sentant Jean Renoir dans ses diffĂ©rents lieux de vie, nous remarquons frĂ©quemment en arriĂšre-fond des tableaux de son pĂšre. MalgrĂ© le fait qu’il ait mis sur le marchĂ© une grande partie des toiles de son pĂšre, dans les annĂ©es 1920, il en conserva un certain nombre, mais aussi, aprĂšs 1945, racheta des petits formats, les plus accessibles, dont il s’était dessaisi Ă  regret. En revanche, le grand portrait Jean en chasseur 1910 – venu tout droit du musĂ©e d’art du comtĂ© de Los Angeles – qui reprĂ©sente Jean Renoir Ă  14 ans, fusil Ă  la main, avec son chien Ă  ses pieds, il ne s’en sĂ©para jamais. En parcourant les salles, nous prenons conscience que Jean Renoir fut plongĂ© dĂšs son enfance dans l’environnement de la peinture, posant pour son pĂšre et cĂŽtoyant les amis peintres de ce dernier. Il Ă©prouvait une telle admiration pour son pĂšre que celui-ci eut une influence durable sur le travail de son fils. Dans un entretien aux Cahiers du cinĂ©ma en 1979, le cinĂ©aste ne dĂ©clarait-il pas Si certains passages et certains costumes peuvent rappeler les tableaux de mon pĂšre, c’est pour deux raisons d’abord parce que cela se passe Ă  une Ă©poque et dans des lieux oĂč mon pĂšre a beaucoup travaillĂ©, Ă  l’époque de sa jeunesse ; ensuite c’est parce que je suis le fils de mon pĂšre et qu’on est forcĂ©ment influencĂ© par ses parents. » InspirĂ© par la peinture La premiĂšre salle est consacrĂ©e Ă  Partie de campagne, probablement le film le plus emblĂ©matique du rapport du cinĂ©aste avec l’univers de son pĂšre. AdaptĂ© d’une nouvelle de Guy de Maupassant et tournĂ© Ă  l’étĂ© 1936, le film inachevĂ©, en raison, entre autres, de problĂšmes financiers et mĂ©tĂ©orologiques, ne sortira sur les Ă©crans qu’en 1946. Le tournage se dĂ©roule sur les rives du Loing, Ă  l’endroit mĂȘme oĂč Auguste, vers 1860, peignait sur motif avec ses amis Claude Monet, Alfred Sisley et FrĂ©dĂ©ric Bazille. Dans Partie de campagne, Jean rend hommage Ă  la nature et aux toiles de son pĂšre. Les roseaux pliĂ©s sous le vent semblent sortir de la toile d’Auguste La Seine Ă  Champrosay 1876 ; la fameuse scĂšne de balançoire dans le film, jouĂ©e par Sylvie Bataille, est une citation explicite du tableau La Balançoire 1876. Bien qu’il manque un Ă©lĂ©ment de taille – qui est la couleur – pour restituer l’esthĂ©tique impressionniste, le film en noir et blanc y rĂ©ussit tout de mĂȘme Ă  travers les costumes, les dĂ©cors naturels, l’intensitĂ© des sensations captĂ©es par la camĂ©ra, les jeux de lumiĂšre, les effets d’ombre. Les promenades dans les herbes du couple Henriette et Henri, jouĂ© par Sylvia Bataille et Georges d’Arnoux, renvoient Ă  la toile Chemin montant dans les hautes herbes 1875. D’autres films font Ă©cho aux lieux chargĂ©s de souvenirs du pĂšre et du fils. D’abord c’est le Montmartre de la fin du xixe siĂšcle oĂč Jean vĂ©cut ses premiĂšres annĂ©es. Dans un entretien que l’on peut Ă©couter dans l’exposition, le cinĂ©aste se remĂ©more le Montmartre de son enfance comme un pays de castes oĂč une caste ne se mĂ©lange pas avec une autre caste. Dans French Cancan 1955, Jean Renoir Ă©voque les dĂ©buts du cĂ©lĂšbre cabaret le Moulin-Rouge, afin de rendre hommage au monde du spectacle et, par consĂ©quent, au cinĂ©ma. A cette occasion, il s’inspira des tableaux de son pĂšre comme le Bal du moulin de la galette » 1876, mais aussi des autres artistes de cette Ă©poque, notamment Toulouse-Lautrec et l’affichiste Jules ChĂ©ret. Paysages mĂ©diterranĂ©ens L’autre lieu partagĂ© par les Renoir Ă©tait Cagnes-sur-Mer oĂč la famille possĂ©dait le domaine des Collettes qui servira de dĂ©cor au DĂ©jeuner sur l’herbe 1959. Dans ce film, Jean Renoir rend hommage une nouvelle fois Ă  son pĂšre en essayant d’exprimer la vivacitĂ© des couleurs et des personnages. La jupe rouge et le corsage blanc de NĂ©nette Catherine Rouvel Ă©voquent la toile d’Auguste Renoir peint en 1910-1912 Le Grand Arbre. Femme au corsage rouge dans le jardin de Cagnes. Alors que Partie de campagne Ă©tait en noir et blanc, mais rĂ©ussissait malgrĂ© tout Ă  suggĂ©rer la couleur, le DĂ©jeuner sur l’herbe est tournĂ© en Technicolor, procĂ©dĂ© qui créé des couleurs chatoyantes et saturĂ©es. La plupart du film est tournĂ©e en extĂ©rieur – comme les impressionnistes qui peignaient sur le motif – et s’attarde sur les oliviers centenaires, que peignait son pĂšre Ă  la fin de sa vie, la beautĂ© des paysages mĂ©diterranĂ©ens, les herbes aquatiques qui s’agitent dans le courant de la riviĂšre et la sensualitĂ© de NĂ©nette, une baigneuse qui aurait pu sortir d’une des toiles d’Auguste. Jean Renoir a suivi lors de sa carriĂšre un des conseils de son pĂšre Il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le courant d’un ruisseau », c’est pourquoi ses films, conçus en fonction de rencontres et de circonstances, appartiennent Ă  des registres et Ă  des genres diffĂ©rents qui mettent en avant ses incertitudes quant Ă  la conduite Ă  tenir en art comme dans la vie. Ceci est Ă  raccorder Ă  la fameuse phrase de La RĂšgle du jeu 1939 prononcĂ©e par Octave, un artiste ratĂ© pique-assiette personnage jouĂ© par le cinĂ©aste lui-mĂȘme Le plus terrible dans ce monde c’est que chacun a ses raisons ». Didier Saillier Janvier 2019 Photo Photogramme du DĂ©jeuner sur l’herbe 1959 de Jean Renoir, avec Catherine Rouvel.
LepÚre était peintre, le fils cinéaste Petit renard du Sahara Ville connue pour ses tranchées en 1916 Liqueur fabriquée avec une plante des Alpes Course de voiliers suivant un parcours précis Préféré Poisson qui va vite ! Au Népal, guide haute montagne Plante à fleurs blanches utilisée en parfumerie Vent chaud venu du Sahara

Dans ses Histoires du CinĂ©ma, Jean-Luc Godard faisait une proposition audacieuse le premier cinĂ©aste, c’est Manet. Tout ce qui fera la force du cinĂ©ma est dĂ©jĂ  prĂ©sent dans la peinture impressionniste. Et si le cinĂ©ma, tel qu’il s’est dĂ©veloppĂ© en France Ă  la fin du XIXĂšme siĂšcle, n’était qu’un prolongement du mouvement impressionniste ? L’exposition au musĂ©e d’Orsay consacrĂ©e Ă  Pierre-Auguste et Jean Renoir ne part pas de ce postulat mais dĂ©coud plutĂŽt l’hĂ©ritage – du pĂšre au fils et du fils au cinĂ©ma moderne – qui fit dire Ă  Godard que Manet Ă©tait le premier cinĂ©aste et fit surnommer Jean Renoir le patron par toute la Nouvelle vague française. Article co-Ă©crit par Pierre Charpilloz et EugĂ©nie Filho. Le premier est le plus classique des grands peintres impressionnistes. Le second est le plus impressionniste des grands cinĂ©astes classiques. Ils n’ont rien Ă  voir, mais ils ont tout en commun, comme souvent entre un pĂšre et son fils. Bien sĂ»r, Jean Renoir a rĂ©guliĂšrement citĂ©, plus ou moins explicitement, la peinture de son pĂšre. De Partie de campagne au Fleuve, en passant par la scĂšne de chasse de la RĂšgle du jeu, la rĂ©fĂ©rence et le clin d’Ɠil sont partout, comme le rapporte la passionnante exposition au MusĂ©e d’Orsay. Mais la filiation est peut-ĂȘtre plus profonde encore, plus implicite. Une continuitĂ© qui s’inscrit dans l’histoire mĂȘme du cinĂ©ma. Jean Renoir vers 1954-55. RenĂ© Saint-PaulBridgeman images Pierre-Auguste Renoir et son dernier modĂšle AndrĂ©e Heuschling en 1918. Walter Halvorsen / Ville de Cagnes-sur-Mer Le vent dans les feuilles Lors de la projection du Repas de bĂ©bĂ© des frĂšres LumiĂšre, le 28 dĂ©cembre 1895, pendant l’historique premiĂšre sĂ©ance publique de cinĂ©ma, on rapporte que ce n’est pas tant l’action au premier plan – Auguste LumiĂšre et son Ă©pouse Marguerite Winkler donnant Ă  manger Ă  leur fille AndrĂ©e – qui impressionna les spectateurs, mais ce que l’on voyait Ă  l’arriĂšre-plan le mouvement du vent dans les arbres, agitant les feuilles. C’est cette mĂȘme impression de mouvement qui surprend dans les paysages peints par Monet et les impressionnistes. Le contraire d’une nature morte contrĂŽlĂ©e par l’artiste, une nature vivante, prise sur l’instant. Car il y a aussi, dans la peinture impressionniste comme dans le cinĂ©ma, la volontĂ© non seulement de capter le rĂ©el, mais aussi de capter le temps. Mais l’impression de spontanĂ©itĂ© de l’instant captĂ© est artificielle il faut des heures pour peindre une seconde. Et on retrouve cette mĂȘme contradiction apparente dans le cinĂ©ma de Renoir, motivĂ© par une impression de rĂ©el construite avec tous les moyens du cinĂ©ma. Si les cinĂ©astes de la Nouvelle Vague lui rendront hommage, Jean Renoir n’a rien d’un Godard ou d’un Truffaut dans ses mĂ©thodes il aime tourner en studio, et ne craint pas l’utilisation d’un matĂ©riel lourd et encombrant. Comme la peinture impressionniste ne souhaite pas ressembler Ă  la photographie dont elle est contemporaine, le cinĂ©ma de Renoir ne cherche pas le naturalisme, mais l’impression de rĂ©el. L’hĂ©ritage Renoir Jean Renoir 1894-1979 grandit dans le milieu artistique montmartrois entourĂ© des oeuvres et des modĂšles de son pĂšre, de ses amis peintres et romanciers, et de cette vitalitĂ© artistique de la fin du XIXĂšme siĂšcle et du dĂ©but du XXĂšme. Quand la Grande Guerre Ă©clate en 1914, Jean Renoir et son frĂšre Pierre le comĂ©dien s’engagent et sont blessĂ©s. Jean, devenu adulte par les circonstances, passe sa convalescence aux cĂŽtĂ©s de son pĂšre, lui aussi malade et rhumatique, et Ă©change rĂ©ellement pour la premiĂšre fois avec l’artisan-peintre. Ce pĂšre qu’il admirait dĂ©jĂ , devenait alors rĂ©el. Cette rencontre est le point de dĂ©part du travail biographique que Jean Renoir mena sur son pĂšre, crĂ©ant ainsi une lĂ©gende familiale, et posant les pierres de son propre mythe. On observe au long de l’exposition comment Jean Renoir construisit son hĂ©ritage, d’abord en le dilapidant pour payer ses films puis en le reconstituant, rachetant les tableaux un Ă  un, en publiant des Ă©crits sur le peintre et en organisant des expositions. Ainsi, plus qu’une filiation thĂ©matique, l’exposition met en lumiĂšre un hĂ©ritage technique et culturel ainsi que financier. L’exemple de Nana, sorti en 1926 est assez significatif. Le personnage de Nana, tirĂ© du roman d’Emile Zola, ami de Renoir pĂšre, Ă©volue dans le milieu mondain et parisien qui anime dans les toiles du peintre. Cependant, c’est en vendant de nombreuses toiles du pĂšre que le fils put rĂ©aliser ce portrait de la France bourgeoise de la fin du XIXĂšme siĂšcle. Ironique. De l’artisanat d’art Ă  l’industrie cinĂ©matographique Pierre-Auguste Renoir 1841-1919 commença sa carriĂšre en tant que peintre cĂ©ramiste. La minutie et la dĂ©licatesse de ses dessins ne firent pas le poids face aux illustrations convenues d’aprĂšs le peintre rĂ©alisĂ©es par les machines introduites en masse. Mais cette attention au dĂ©tail, cette observation des formes, des couleurs et de la lumiĂšre ne quitta jamais Renoir qui peignit jusqu’à la fin de sa vie. Son fils Jean, avant d’ĂȘtre cinĂ©aste, s’était Ă©galement Ă©pris de peinture sur porcelaine voir le portrait de Renoir Ă  ses cĂ©ramiques par Albert AndrĂ© et commençait Ă  vendre des cĂ©ramiques trĂšs beaux objets prĂ©sents au sein de l’exposition. Ce dĂ©sir de libertĂ© que Renoir pĂšre incarnait face Ă  l’artisanat industriel puis Ă  la peinture classique Ă©tait d’autant plus forte qu’elle s’alliait Ă  une exigence technique Ă  laquelle Renoir fils continua de se plier sur ses plateaux. L’attention que le peintre portait aux couleurs et Ă  la lumiĂšre est reconnaissable dans le travail cinĂ©matographique de Jean Renoir. Du noir et blanc lumineux et moderne de la Partie de campagne 1936 au Technicolor maĂźtrisĂ© du Fleuve 1951 et du DĂ©jeuner sur l’herbe 1959, on voit transparaĂźtre les dĂ©sirs impressionnistes. Cependant, la rigueur n’appelait pas chez les Renoir ni le tourment ni la sĂ©vĂ©ritĂ©. En effet, les travaux de Pierre-Auguste Ă©taient rĂ©alisĂ©s en Ă©quipe toute la maisonnĂ©e, la famille comme les domestiques, participait joyeusement Ă  la crĂ©ation en tant que modĂšle, comme Jean Renoir le rapporte dans ses biographies de son pĂšre. Ces Ă©changes enthousiastes se retrouvaient aussi dans les correspondances et relations que Renoir entretenaient avec ses contemporains, peintre impressionnistes, compositeurs, poĂštes et romanciers. Il est peut-ĂȘtre facile de rapprocher ce travail d’équipe Ă  un plateau de tournage. Cependant, il est certain que Renoir a appris Ă  bonne Ă©cole les intĂ©rĂȘts du travail en Ă©quipe et en famille, collaborant avec son frĂšre Pierre, l’acteur et plus tard avec son neveu Claude, chef opĂ©rateur. Un autre de ses proches est Jean Gabin avec qui il forma un duo cĂ©lĂšbre, et Ă  qui il donna les personnages les plus emblĂ©matiques de ses films et de cet univers fin de siĂšcle, du mĂ©cano de La BĂȘte humaine Ă  l’entrepreneur de cabaret dans French Cancan. Les mondes de l’art Comme Renoir, Manet, et nombre d’impressionnistes, les LumiĂšre sont de grands bourgeois du XIXĂšme. Et comme des impressionnistes, ils reprĂ©sentent leur quotidien. À l’instar du DĂ©jeuner de bĂ©bĂ©, de nombreuses vues LumiĂšre sont des tĂ©moignages de la vie bourgeoise dans la France du XIXĂšme siĂšcle. Un thĂšme que reprendra plusieurs fois Renoir dans ses films. La Promenade de Pierre-Auguste Renoir 1870, les vues familiales des frĂšres LumiĂšre et la Partie de campagne de Jean Renoir 1936 ne sont au final qu’une variation sur un mĂȘme thĂšme la bourgeoisie du XIXĂšme Ă  la campagne. Dans la filmographie de Jean Renoir, cette haute bourgeoisie rencontre aussi l’aristocratie, la force ouvriĂšre, les danseuses de Cancan et les hommes d’affaire tout un portrait de la France au tournant du siĂšcle, que les impressionnistes et leurs contemporains ont si souvent examinĂ©s. Il y a d’abord le milieu artistique et festif, celui du Moulin rouge, du Moulin de la galette, des bords de Seine, qui se retrouvent chez Zola, Maupassant, les frĂšres Caillebotte, Manet et chez Renoir pĂšre, puis dans les films du fils. Cette frĂ©nĂ©sie crĂ©atrice, Renoir fils la partageait avec les artistes de sa gĂ©nĂ©ration. Man Ray ou Henri Cartier Bresson ne sont pas bien loin quand on observe la science du montage et du cadrage de Renoir fils. Les personnages de crĂ©ateur, qu’il soit artiste, entrepreneur ou scientifique, habitent les films de Renoir, comme il peuplaient les romans et les peintures du siĂšcle prĂ©cĂ©dent. Ils sont Ă  la fois le sujet et la puissance crĂ©ative de toutes ces Ɠuvres rĂ©alisĂ©es dans ces microcosmes culturels. On rĂ©alise vraiment le passage d’une gĂ©nĂ©ration Ă  l’autre Ă  la comparaison de la Partie de campagne du fils avec La Balançoire, du pĂšre. Dans la peinture, la jeune femme qui se balance porte une belle robe blanche Ă  nƓuds bleus, lĂ©gĂšre et Ă©clatante. Dans le film du fils, ce n’est pas la jeune femme Ă  la balançoire qui porte cette robe, mais sa mĂšre. Mais celle qui incarne ce passage de flambeaux, c’est surtout AndrĂ©e Heuschling dite DĂ©dĂ©e, derniĂšre modĂšle du peintre et Ă©pouse du cinĂ©aste, qui est, nous dit-on, la raison pour laquelle Renoir fils se mit au cinĂ©ma il voulait en faire une star. L’hĂ©ritage du peintre Ă  son fils, puis la lĂ©gende que le fils fit de lui-mĂȘme et de son pĂšre dĂ©passent les frontiĂšres de la France les deux artistes sont grandement cĂ©lĂ©brĂ©s partout dans le monde et surtout aux États-Unis, notamment grĂące Ă  la Fondation Barnes Ă  l’origine de cette exposition, ce double hommage au cinĂ©ma et Ă  l’impressionnisme. Ainsi, le cinĂ©ma est nĂ© en France dans le mĂȘme contexte social et selon les mĂȘmes dĂ©sirs de mouvement que l’impressionnisme. Et, si l’impressionnisme disparaĂźt Ă  l’orĂ©e du XXĂšme siĂšcle, le cinĂ©ma, avec des rĂ©alisateurs comme Jean Renoir, est sa survivance. Pas un hasard ainsi si les histoires des grands films de Renoir sont celles de grands auteurs du XIXĂšme Maupassant, Zola, Flaubert, Mirbeau. Pas un hasard non plus, si lorsqu’il filme le rĂ©alisateur pour son documentaire Renoir, le patron du cinĂ©ma français, Rivette filme Renoir dans un grand jardin Ă  la Manet, comme on reprĂ©senterait un peintre impressionniste. Depuis cette perspective, le cinĂ©ma ne serait pas, alors, l’hĂ©ritier de la photographie paysagiste et portraitiste dont les rapports picturaux sont Ă  associer au nĂ©o-classicisme. Au contraire, le cinĂ©ma accomplit le rĂȘve de l’art moderne lĂ  oĂč la photographie et la peinture classique sublime, la pellicule impressionnĂ©e du cinĂ©matographe LumiĂšre, des camĂ©ras de Renoir et de ses hĂ©ritiers, Ă  son tour, impressionne. Le jeudi 24 janvier de 18h30 Ă  23h, assistez Ă  la Curieuse nocturne Renoir pĂšre et fils » avec projections sur Ă©cran gĂ©ant dans la nef, mĂ©diations et rencontres pour entrer dans l’univers fascinant des Renoir. Gratuit pour les moins de 26 ans. CRÉDITS IMAGES DR

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Les mythes grecs dans le cinĂ©ma de Pier Paolo Pasolini. Qu’on ne tente pas de nous ĂŽter notre foi dans une renaissance prochaine de l’antiquitĂ© grecque. » Dans Naissance de la tragĂ©die, Nietzsche Introduction Le 20e siĂšcle aura Ă©tĂ© le théùtre de cette renaissance qu’entrevoyait et qu’espĂ©rait Nietzsche celle de la tragĂ©die grecque et des mythes qu’elle met en scĂšne. Les poĂštes et Ă©crivains modernes ont su reprendre Ă  leur compte cette matiĂšre mythologique afin qu’elle se fasse l’écho de nos prĂ©occupations et nous Ă©claire. Mais qu’entend-t-on par mythe ? Etymologiquement, il est une fable. Une fable intimement liĂ©e au religieux, au sacrĂ© puisqu’il s’agit de rĂ©cits d’ĂȘtres surhumains ou de faits extraordinaires mais qui revĂȘtent une valeur symbolique. Le mythe pose et cherche Ă  rĂ©soudre des questionnements philosophiques, existentiels. La vĂ©ritable histoire y est trĂšs souvent transposĂ©e comme pour la mesurer Ă  l’aune d’une Ă©ternitĂ© lĂ©gendaire. Chez LĂ©vi-Strauss le mythe est, au mĂȘme titre que la science, un accĂšs Ă  la connaissance Peut-ĂȘtre dĂ©couvrirons-nous un jour que la mĂȘme logique est Ă  l’Ɠuvre dans la pensĂ©e mythique et dans la pensĂ©e scientifique, et que l’homme a toujours pensĂ© aussi bien. » Anthropologie structurale, page 254, Presses Pocket Agora, Paris, 1985. C’est le caractĂšre universel et intemporel du mythe qui lui confĂšre cette dimension exemplaire. Il s’apparente aussi Ă  une sorte de rĂȘve collectif de l’humanitĂ©, en cela il constitue Ă  la fois une sorte de projection des structures psychiques qui nous habitent et un lieu de structuration sociĂ©tale et culturelle. L’intĂ©rĂȘt renouvelĂ© pour la tragĂ©die et les mythes grecs tient Ă  cette intemporalitĂ©. C’est Ă  la faveur de deux nouvelles lectures majeures et Ă©clairantes que leur exemplaritĂ© s’est faite jour. D’un point de vue strictement chronologique la premiĂšre est celle de Nietzsche dans son ouvrage La Naissance de la TragĂ©die parue en 1872. Il y expose les principes fondateurs de la tragĂ©die grecque que sont le principe apollinien associĂ© Ă  la sculpture et le principe dionysiaque qui est l’art de la musique. Tous deux s’opposent dans une lutte fĂ©conde. Il y met Ă©galement en exergue le rĂ©confort mĂ©taphysique » Dans Naissance de la tragĂ©die, Nietzsche, Gallimard, Paris, 2000 apportĂ© par la tragĂ©die grecque en ce qu’elle rĂ©vĂšle la part d’éternitĂ© des ĂȘtres et qu’elle nous arrache momentanĂ©ment aux tourbillons des formes changeantes » Ibid, elle est une cĂ©lĂ©bration de la vie ». Nietzsche pense nĂ©cessaire une renaissance de l’antiquitĂ© grecque car elle constitue un vĂ©ritable espoir de renouveau. Il s’agirait de rompre avec les certitudes et l’esprit scientifique de l’homme thĂ©orique issu du socratisme qui marqua la fin de la tragĂ©die hellĂ©nique la rationalitĂ© socratique triomphant de l’irrationalitĂ© mythique. Il prophĂ©tise enfin l’avĂšnement prochain d’un Socrate se tournant vers Dionysos le fameux Socrate musicien », qui au seuil de sa mort se tourna vers la musique qu’il avait jusqu’alors dĂ©nigrĂ©e. Au dĂ©but du 20e siĂšcle, une lecture diffĂ©rente et, cette fois-ci, psychanalytique des mythes grecs fait son apparition avec notamment le fameux complexe d’ƒdipe freudien. Il rĂ©vĂšle au grand jour ce que Sophocle avait dĂ©jĂ  exprimĂ© sous forme poĂ©tique et que la postĂ©ritĂ© elle-mĂȘme avait occultĂ©, ne retenant du mythe d’ƒdipe que l’écrasant fatum, unique cause des maux du malheureux fils de LaĂŻos et Jocaste. Ce dĂ©sir de la mĂšre et ce rejet du pĂšre, tabous ultimes que Sophocle n’ignorait pas, sont mis Ă  nu par Freud. La psychanalyse montrera aussi le lien Ă©troit existant entre rĂȘve et mythe, ce dernier apparaissant justement comme une sorte de rĂȘve collectif » aux vertus cathartiques. Au sein mĂȘme du courant psychanalytique Carl Gustav Jung verra en particulier dans le mythe la mĂ©taphore de l’inconscient collectif, antĂ©rieur mĂȘme Ă  l’inconscient individuel, empruntant ainsi un chemin diffĂ©rent de celui de Freud. C’est majoritairement la lecture freudienne du mythe qui transparaĂźtra nettement dans certaines Ɠuvres théùtrales comme par exemple dans l’Oedipe Roi de Anouilh 1978 mĂȘme si le thĂšme n’y est pas essentiellement le complexe. Cocteau est aussi tributaire de cet hĂ©ritage freudien notamment dans l’acte IV de la Machine Infernale 1934 qui reprend la piĂšce de Sophocle et c’est le complexe qui est mis en scĂšne plus que le mythe son adaptation de Sophocle est plus rĂ©aliste. Plus largement, et outre l’influence freudienne, le théùtre français des annĂ©es 30-40 tente de ressusciter la tragĂ©die grecque, en la modernisant pour qu’elle livre un nouvel Ă©clairage sur le prĂ©sent. Gide aborde ainsi le complexe dans son ƒdipe en 1930 mais il l’enrichit d’un questionnement sur l’individu et se demande dans quelle mesure les contraintes de l’éducation et de la famille peuvent s’avĂ©rer liberticides. Giraudoux et Anouilh redonnent vie respectivement Ă  Electre et Antigone tandis que Sartre Ă©voque Oreste dans les Mouches en 1943. Plus proche de nous, Bauchau a, dans son ƒdipe sur la route 1995, mis l’accent sur le caractĂšre initiatique de la vie d’Oedipe. D’abord banni en tant que criminel et devenu enfin un homme sage, guĂ©risseur et artiste. Le drame moderne renoue donc avec le symbolisme hĂ©ritĂ© des tragĂ©dies grecques. La multiplication des piĂšces Ă  thĂšmes mythologiques dĂ©montre une mĂ©fiance accrue envers cet homme socratique » de plus en plus intelligent mais dĂ©sacralisĂ©. Toutes ces adaptations estiment que le symbolisme se rĂ©vĂšle plus apte Ă  sonder les trĂ©fonds de l’individu. Recueils de poĂ©sie et essais ont fleuri de mĂȘme durant le 20e siĂšcle dans Feux, Marguerite Yourcenar dĂ©sire montrer le lien intime qui existe entre la vie et le mythe. Camus et H. Michaux se sont tous deux intĂ©ressĂ©s Ă  Sisyphe, l’un sous forme d’essai le Mythe de Sisyphe, l’autre en poĂšte Les Travaux de Sisyphe la vie dans les plis. Le cinĂ©ma s’abreuve des mythes grecs dans un Ă©lan similaire. A Bergman de reprendre certaines conceptions nietzschĂ©ennes dans Sonate d’Automne dans laquelle il proteste contre l’époque moderne et l’homme socratique qui fait fi de l’ñme Du plus Ă©levĂ© au tout dernier, l’homme est tout, comme la vie. L’homme est encore l’image de Dieu, et Dieu est tout, tout, une Ă©nergie pleine de force
C’est pourquoi il doit exister d’innombrables rĂ©alitĂ©s, non seulement la rĂ©alitĂ© que nous percevons avec nos sens Ă©moussĂ©s, mais des lĂ©gions de rĂ©alitĂ©s qui ne cessent de se fondre l’une dans l’autre. [
]Il n’y a pas de limites. Ni pour les idĂ©es, ni pour les sentiments. » Extrait de Sonate d’Automne Laurence Olivier, de son cotĂ©, filmera, sous influence freudienne, un Hamlet amoureux de sa mĂšre. Electre a Ă©tĂ© adaptĂ©e de multiples fois au cinĂ©ma tout comme le mythe d’OrphĂ©e auquel s’est par exemple intĂ©ressĂ© Cocteau dans Le Testament d’OrphĂ©e en 1959. Cocteau y interprĂšte son propre rĂŽle en tant que poĂšte abolissant temps et espace, mĂȘlant rĂȘve et rĂ©alitĂ© au sein d’un monde gouvernĂ© par l’esthĂ©tique. Mais le cinĂ©aste qui s’est le plus penchĂ© sur les mythes grecs est sans conteste Pier-Paolo Pasolini. Il a d’abord Ă©tĂ© amenĂ© par Vittorio Gassman Ă  traduire en italien l’Orestie d’Eschyle afin d’ĂȘtre mise en scĂšne au Teatro Populare Italiano. L’Orestie a agi comme un Ă©lectrochoc suscitant chez Pasolini un vif intĂ©rĂȘt pour la tragĂ©die grecque. Son premier film, Accattone, rĂ©alisĂ© en 1961, a dĂ©jĂ  des accents hellĂ©niques en ce qu’il retrace l’histoire d’une tragĂ©die conjugale inexorablement façonnĂ©e par le destin. Son Ɠuvre cinĂ©matographique toute entiĂšre est empreinte d’un combat acharnĂ© contre l’immobilisme et le conservatisme bourgeois. Il exĂ©crait le systĂšme nĂ©o-capitaliste qui Ă©tendait peu Ă  peu son emprise sur l’Italie. D’oĂč sa nostalgie du sacrĂ© dans une Italie oĂč rĂ©gnait la raison pratique et technique. Cette sacralitĂ© perdue, Pasolini cherche Ă  la retrouver notamment dans l’antiquitĂ© grecque avec ses mythes faits d’irrationnel. Il a bien sĂ»r lu les travaux de Nietzsche, Freud, Jung mais aussi de LĂ©vi-Strauss, de Frazer ou de Mircea Eliade et il est sans nul doute aussi tributaire de cet hĂ©ritage rĂ©flexif Ă  la fois anthropologique et ethnologique sur le mythe. Il l’avoue d’ailleurs lui-mĂȘme dans DerniĂšres Paroles d’un Impie Quant Ă  la piĂšce d’Euripide, je me suis limitĂ© simplement Ă  en faire quelques citations. Curieusement, cette Ɠuvre repose sur un fondement thĂ©orique de l’histoire des religions Frazer, LĂ©vi-Bruhl, des ouvrages d’ethnologie et d’anthropologie modernes. » Dans DerniĂšres Paroles d’un Impie entretiens avec Jean Duflot, page 133, Jean Duflot et Pier-Paolo Pasolini, Paris, 1981 Il est mĂȘme possible d’évoquer une vĂ©ritable trilogie antique dans le cinĂ©ma de Pasolini avec Oedipo Re tirĂ© de Sophocle en 1967, Medea issu d’Euripide en 1969-70 et Appunti per un Orestia Africana d’aprĂšs la fameuse trilogie eschylĂ©enne en 1970. Il est vrai que lui-mĂȘme ne l’a nullement revendiquĂ©e d’autant que Carnet de Notes pour une Orestie Africaine n’est qu’un prĂ© film, un travail prĂ©paratoire. Pourtant on ne peut occulter une vĂ©ritable cohĂ©rence en ce que les trois films offrent un second souffle cinĂ©matographique aux tragĂ©dies grecques. Pasolini affiche une ferme volontĂ© de ne pas vouer l’hĂ©ritage hellĂ©nique Ă  la musĂ©ification mais de le rendre vivant et Ă©difiant pour le prĂ©sent. Il veut surtout rendre compte d’un problĂšme qui, selon lui, est de son temps il s’agit de la perte du sens du sacrĂ©, de ce qui transcende l’humain. Face au scientisme, Ă  la toute puissante et unique Raison comme apprĂ©hension du monde et face Ă  la montĂ©e du matĂ©rialisme capitaliste, Pasolini met cinĂ©matographiquement en Ɠuvre une alternative mystique en ce sens que le mysticisme fait une grande place au religieux et plus gĂ©nĂ©ralement Ă  l’intuition. Les mythes sont le moyen de faire ressurgir la dimension mĂ©taphysique et la conscience de l’éternitĂ© dont il estime qu’elles manquent Ă  ses contemporains. Ils se rĂ©vĂšlent ĂȘtre un autre accĂšs Ă  la connaissance. Ce nĂ©cessaire retour du sacrĂ© est en accord avec sa conception de l’Histoire qu’il considĂšre, pour reprendre les mots de Mircea Eliade comme un Ă©ternel retour » en somme l’Histoire n’existe pas. Quels moyens Pasolini emploie-t-il pour faire sentir la nĂ©cessitĂ© d’un retour au sacrĂ© et comment les mythes grecs rĂ©pondent-ils aux aspirations du cinĂ©aste sur ce point ? Notre argumentation s’articulera ainsi Dans quelle mesure le monde grec est-il rĂ©vĂ©lateur de notre psychisme et de la part de sacrĂ©, d’éternitĂ© inhĂ©rente Ă  chaque ĂȘtre ? En quoi constitue-t-il un Ă©clairage et une force de contestation du prĂ©sent au niveau sociĂ©tal, collectif ? Pourquoi voit-il dans le Tiers Monde » la voie d’une resacralisation salvatrice et par consĂ©quent une alternative? Partie 1 Les mythes proposent des structures psychiques qui nous habitent toujours Chapitre 1 Le Magma stylistique » pasolinien, figure de la complexitĂ© des ĂȘtres et de l’atemporalitĂ© du mythe Le premier film de Pasolini, Accattone, trahit dĂ©jĂ  un certain goĂ»t pour le carnavalesque ou plus largement le mĂ©lange des styles. Il mĂȘle ainsi allĂšgrement le sublime d’un morceau de Bach et la laideur d’une sombre bagarre dans les quartiers sous prolĂ©taires de Rome. ScĂšne qui d’ailleurs n’a pas Ă©tĂ© trĂšs bien accueillie par une partie du public italien qui s’offusquait du maniĂ©risme » de la chose. Le bas » matĂ©rialisĂ© par l’esclandre est rehaussĂ© par une esthĂ©tisation musicale outranciĂšre. Le but de Pasolini Ă©tait de confĂ©rer Ă  cette scĂšne une dimension Ă©pique. Pour qualifier ce mĂ©lange des styles, le cinĂ©aste italien se plaĂźt Ă  utiliser l’expression d’Auerbach magma stylistique ». Cette sorte de syncrĂ©tisme stylistique est le reflet mĂȘme du parcours et des goĂ»ts Ă©clectiques de l’auteur que l’on sait d’ailleurs insatiable dans sa recherche de nouveaux supports artistiques poĂ©sie notamment dialectale frioulane, littĂ©rature , théùtre, peinture
Les diverses influences dont il est empreint transparaissent en particulier dans sa trilogie antique. Les costumes que portent les personnages sont en ce point Ă©difiants. Les origines en sont diverses. Ainsi dans ƒdipe Roi les vĂȘtements sont parĂ©s de bijoux inspirĂ©s des civilisations aztĂšque et perse. Il en va de mĂȘme pour les masques ornĂ©s de coquillages et de raphia et pour des parures parfois trĂšs solaires proche de celles des Incas ou des AztĂšques. La couronne que porte LaĂŻus et que portera ƒdipe est sculptĂ©e Ă  la maniĂšre des peuples anciens d’Asie occidentale. L’Afrique et l’OcĂ©anie marquent Ă©galement de leur empreinte les nombreux apparats. Les armures sont presque animalisantes ». Le style vestimentaire est si composite que l’on a parfois l’impression d’ĂȘtre tĂ©moins d’un dĂ©filĂ© carnavalesque. Pasolini donne corps grĂące aux images Ă  l’idĂ©e freudienne selon laquelle les personnages et objets vus en rĂȘve puisque la partie centrale est une sorte de rĂȘve mythique ! sont composites. Il rompt alors sciemment avec le classicisme d’une antiquitĂ© grecque que le spectateur s’attendait Ă  voir pour servir son propos puisque nous verrons que le choix de pays non occidentaux pour le tournage, les costumes
n’est pas innocent. Dans MĂ©dĂ©e, ce sont trois univers de costumes qui se dĂ©ploient le premier associĂ© Ă  la Cappodoce revĂȘt des teintes bleues et brunes couleurs de la terre c’est la Colchide ; le second adopte des couleurs blanches et jaunes couleurs du pain, du mastic
 pour la Syrie et le dernier s’inspire des couleurs du peintre italien Pontormo pour Corinthe le rouge y est trĂšs prĂ©sent. Les vĂȘtements font appel Ă  des influences indiennes, mexicaines, hittites et sumĂ©riennes afin de recrĂ©er un monde archaĂŻque. Les bijoux sont d’inspiration marocaine, mexicaine ou sarde. Pasolini avait donnĂ© comme consigne au costumier de mĂ©langer tous les matĂ©riaux et toutes les traditions. Les personnages portent des cornes, des os, des pommes de pin, des coquillages
un vĂ©ritable magma vestimentaire ». Les musiques, dans les trois films, concourent elles aussi Ă  faire naĂźtre le baroquisme dans la composition cinĂ©matographique pasolinienne. MĂ©dĂ©e y est un peu Ă  part en ce qu’elle en est presque dĂ©pourvue. Au contraire de la partie sophoclĂ©enne de la trilogie qui concilie le hiĂ©ratisme et la prestance d’un quatuor en ut majeur K465 de Mozart et le folklore associĂ© aux divers chants populaires roumains, mais on y trouve aussi de la musique ancienne japonaise. L’accompagnement musical, Ă  l’instar des costumes, brouille les pistes
Il ne permet pas de situer historiquement le rĂ©cit puisqu’il est lui-mĂȘme magmatique. Dans carnet de notes pour une Orestie africaine, le discours prophĂ©tique de Cassandre, esclave d’Agamemnon, prend la forme d’un intermĂšde de free jazz ». Pasolini filme l’enregistrement d’un morceau de jazz interprĂ©tĂ© notamment par Archie Savage. L’équilibre musical est brisĂ© par la voix Ă  la fois outranciĂšrement aigue et irrĂ©guliĂšre d’une jeune noire qui semble chanter l’oracle issu de l’Agamemnon d’Eschyle Profond malheur qui se trame dans ce palais » Dans l’Orestie D’Eschyle, page 143, vers 1102, traduction de Daniel Loayza, Garnier Flammarion, Paris, 2001 Je te dis que tu verras la mort d’Agamemnon » Ibid, page 149, vers 1246. Encore une fois le choix d’une telle musique n’est pas anodin. L’esthĂ©tisme musical se double d’un caractĂšre didactique nous le verrons plus tard le free jazz » est un questionnement sur les racines socioculturels des noirs amĂ©ricains et il fait surgir une prĂ©histoire africaine » comme mise en crise du style originel.. Ensuite il y a les dĂ©cors, les lieux de tournage choisis qui renforcent le caractĂšre hors du temps et fantaisiste de l’antiquitĂ© telle que nous la prĂ©sente Pasolini. Dans MĂ©dĂ©e, la Colchide est turque et les habitations s’apparentent presque Ă  des terriers comme pour souligner la nature barbare » des individus qui les habitent. Les objets dĂ©coratifs sont composĂ©s de matiĂšres brutes empruntĂ©s Ă  diverses cultures poteries locales
. Et la Corinthe pasolinienne est le fruit d’un assemblage de plusieurs mondes. La façade est celle de la forteresse d’Alep en Syrie, la maison de MĂ©dĂ©e qui lui fait face se situe sur les bords d’une plage Ă  Anzio prĂšs de Rome. Le paysage d’ƒdipe Roi est, quant Ă  lui, maghrĂ©bin donc majoritairement dĂ©sertique. La complexitĂ© de l’architecture dans MĂ©dĂ©e, la diversitĂ© des lieux utilisĂ©s pour les trois films semblent renvoyer Ă  une autre complexitĂ©, celle des structures psychiques qui habitent non seulement l’auteur lui-mĂȘme mais Ă©galement les individus. La diversitĂ© des rĂ©fĂ©rences picturales vient encore renforcer cette impression. A propos d’ƒdipe Roi BarthĂ©lemy Amengual a dit Pour la reprĂ©sentation formelle du mythe, Pasolini utilise une palette objective » qui tantĂŽt rappelle Poussin dans les paysages sombres et tantĂŽt Delacroix dans les instants lumineux » Dans Du RĂ©alisme au CinĂ©ma, BarthĂ©lemy Amengual, Nathan, Paris, 1997. Il verra mĂȘme en Silvana Mangano, l’actrice qui interprĂšte le rĂŽle de la jeune mĂšre, une mĂšre bleue picassienne. Pasolini est un passionnĂ© de peinture, il Ă©tait d’ailleurs peintre lui-mĂȘme et les images de ses films sont rĂ©solument empreintes de picturalitĂ©. Son cinĂ©ma n’est pas seulement poĂ©tique, il est aussi pictural. Autre influence RaphaĂ«l, dans sa maniĂšre de reprĂ©senter les femmes. Il en fait lui-mĂȘme l’aveu En rĂ©alitĂ©, ce que l’on pourrait me reprocher, ce n’est pas de mĂ©priser la femme, mais d’avoir tendance Ă  la raphaĂ©liser », Ă  exprimer son cĂŽtĂ© angĂ©lique » Dans DerniĂšres Paroles d’un Impie entretiens avec Jean Duflot, page 136. Pasolini mĂȘle les Ă©poques. Il est mĂȘme possible de remonter au VIe siĂšcle aprĂšs JĂ©sus Christ Ă  l’apogĂ©e de l’époque byzantine avec ces fameuses mosaĂŻques de Ravenne. Certains voient en effet en Glauce richement vĂȘtue l’impĂ©ratrice ThĂ©odora mosaĂŻquement » reprĂ©sentĂ©e Ă  la Basilique Saint Vital Ă  Ravenne. Puis c’est le choix mĂȘme de la Callas pour interprĂ©ter MĂ©dĂ©e qui est paradoxal. MĂ©dĂ©e est la figure de la sacralitĂ© dont Pasolini est nostalgique or pour lui Maria Callas est l’incarnation d’un monde bourgeois dĂ©sacralisĂ©. La Callas c’est l’opĂ©ra qui, selon Nietzsche, est une version moderne et pervertie de la tragĂ©die grecque notamment en ce qu’il dĂ©nigre la dimension dionysiaque L’opĂ©ra est le produit de l’homme thĂ©orique, de l’amateur critique, non de l’artiste, [
]. Comme il l’homme inapte Ă  la crĂ©ation artistique n’a aucune idĂ©e de la profondeur dionysiaque de la musique, il transforme le plaisir musical en stilo rappresentativo, c’est-Ă -dire en rhĂ©torique rationnelle des passions. » Dans La Naissance de la TragĂ©die, Nietzsche, page 125 Enfin le cinĂ©aste italien alterne cinĂ©ma moderne parlant et cinĂ©ma muet des origines. Le langage de MĂ©dĂ©e est principalement gestuel, la plupart des rĂ©pliques de la tragĂ©die d’Euripide ayant Ă©tĂ© supprimĂ©es. A ce quasi-mutisme de MĂ©dĂ©e s’ajoutent les intertitres spĂ©cifiques du cinĂ©ma muet dissĂ©minĂ©s tout au long d’ƒdipe Roi. Il s’agit donc cette fois-ci d’un amalgame de deux Ă©poques cinĂ©matographiques. Ce dernier point participe Ă  la confusion stylistique propre Ă  l’auteur italien. Au-delĂ  de l’atemporalitĂ© mythique, l’auteur a sans conteste voulu, par ce mĂ©lange des styles, mĂ©taphoriser l’atemporalitĂ©, l’éternitĂ© ontologique. Il s’agit de faire ressurgir cinĂ©matographiquement Ă  l’instar de la tragĂ©die grecque la dimension Ă©ternelle de chaque ĂȘtre qui fait Ă©galement sa complexitĂ©. Le caractĂšre contradictoire de l’ĂȘtre mĂȘme, dans son universalitĂ©, est mis en scĂšne dans la tragĂ©die et plus prĂ©cisĂ©ment dans chaque figure tragique. Nous sommes touchĂ©s par l’universel ontologique car le mythe sous forme magmatique Ă  l’écran transcende l’histoire particuliĂšre pour atteindre chacun. Mircea Eliade a dit Ă  ce propos Le mythe rĂ©intĂšgre l’homme dans une Ă©poque atemporelle, qui est, en fait, un illud tempus, c’est-Ă -dire un temps auroral, paradisiaque, au-delĂ  de l’histoire. » Dans L’Histoire des Religions, page 360, Mircea Eliade, Payot, Paris, 1986 La complexitĂ© des structures psychiques et la dimension intemporelle, ainsi suggĂ©rĂ©es Ă  l’écran, sont plus spĂ©cifiquement celles des rapports familiaux, en particulier parents/enfants. Pasolini partage ce point de vue freudien qui veut que les rapports fils/pĂšre, fils/mĂšre dĂ©coulent des grecs et mĂȘme la religion chrĂ©tienne Ă  laquelle Pasolini s’était intĂ©ressĂ© dans l’optique de la thĂ©matique du mythe avec L’Evangile selon Saint Mathieu n’y a rien changĂ©. Chapitre 2 La relation au pĂšre Il se rĂ©vĂ©lera pĂšre et frĂšre Ă  la fois des fils qui l’entouraient, Ă©poux et fils ensemble de la femme dont il est nĂ©, rival incestueux aussi bien qu’assassin de son propre pĂšre ! » Tirade de TirĂ©sias issu de l’ƒdipe Roi de Sophocle dans TragĂ©dies complĂštes, traduction de Paul Mazon, Gallimard, Paris, 1962 Pasolini connaĂźt la lecture psychanalytique du mythe d’ƒdipe et l’hĂ©ritage freudien transpire dans ses films, en particulier dans sa trilogie antique. On pourrait dire qu’il entretient avec ƒdipe la mĂȘme relation que Flaubert avec Madame Bovary ƒdipe, c’est lui ». Le cinĂ©aste ne cache donc pas son vif intĂ©rĂȘt pour la psychanalyse J’éprouve une grande curiositĂ© pour cette mĂ©thode d’investigation et j’ai lu suffisamment de choses pour douter de pouvoir parler de mes relations parentales en termes poĂ©tiques, simplement, ou mĂȘme sur un mode purement anecdotique » Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 22. La relation parentale est prĂ©gnante dans l’ensemble de son Ɠuvre. L’auteur se sert des mythes et tragĂ©dies grecs pour montrer que les relations parents/enfants proviennent du monde grec, elles n’ont pas changĂ© tout au moins pas fondamentalement. VoilĂ  pourquoi Pasolini n’hĂ©site pas Ă  mĂȘler mythe et complexe dans ƒdipe Roi. Ce qui nous intĂ©resse dans un premier temps, c’est la figure paternelle, la relation au pĂšre. C’est ƒdipe Roi qui se rĂ©vĂšle ĂȘtre le plus autobiographique, cela est d’ailleurs renforcĂ© par les dires du rĂ©alisateur lui-mĂȘme. Il nous livre Ă  premiĂšre vue une image du pĂšre castrateur. Le prologue est surprenant de vĂ©risme, il est censĂ© reprĂ©senter un moment de la petite enfance de Pasolini Ă  Sacile au nord de l’Italie dans le Frioul Le tournage a finalement eu lieu Ă  San Angelo Lodigliano en Basse Lombardie. Son pĂšre est, conformĂ©ment Ă  sa propre histoire, un militaire, il accueille le jeune enfant nouveau nĂ© avec une jalousie marquĂ©e. Le tout premier plan du film nous donne Ă  voir deux soldats italiens arpentant la place du village et l’un deux est, cinĂ©matographiquement, le pĂšre de Pasolini. S’ensuit l’accouchement puis le premier face Ă  face filmĂ© entre le pĂšre en uniforme et le fils. Il fixe longuement l’enfant d’un regard empreint de haine et de jalousie. Cette scĂšne est entrecoupĂ©e d’intertitres Ă  la maniĂšre du cinĂ©ma muet Tu es nĂ© pour prendre ma place dans ce monde, me rejeter dans le nĂ©ant, me voler ce qui m’appartient. » Dialogues du film ƒdipe Roi Ou encore C’est elle que tu me voleras en premier. Elle, la femme que j’aime. D’ailleurs tu me voles dĂ©jĂ  son amour. » Ibid L’usage des intertitres, que nous avions prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s, caractĂ©ristiques d’un cinĂ©ma des origines muet semble confĂ©rer Ă  cette scĂšne un caractĂšre primitif », renforçant ainsi la duretĂ© de la confrontation. Le sentiment de jalousie Ă©prouvĂ© par le pĂšre est Ă  la fois humain et barbare ». La transition entre le prologue rĂ©aliste et la partie centrale mythique a lieu lorsque, de nouveau, le pĂšre s’approche de l’enfant. Il entre dans sa chambre et l’attrape brutalement, le visage dans l’ombre, par les pieds. Et nous arrivons, aprĂšs un long panoramique, sur ƒdipe pendu par les pieds et les mains dans le dĂ©sert. Les pieds sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant le symbole de l’organe sexuel, de la sexualitĂ©. Le pĂšre, en saisissant violemment les pieds du jeune garçon, opĂšre mĂ©taphoriquement une sorte de castration. Pasolini a aussi voulu montrer l’atemporalitĂ© de cette jalousie paternelle en laissant le visage du pĂšre dans l’ombre haine transhistorique », Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 25. Ce complexe oedipien est par la suite projetĂ© dans le mythe et l’on assiste au parricide sophoclĂ©en. Le passage dans lequel le pĂšre du prologue jette un regard haineux sur son fils fait Ă©cho Ă  l’épisode durant lequel ƒdipe et LaĂŻos se rencontrent Ă  la croisĂ©e des chemins. Le regard de LaĂŻos est le mĂȘme il ne sait pas que l’étranger qui croise leur route est son fils. L’animositĂ© est immĂ©diate, il s’exclame ainsi Ote toi de ma route misĂ©rable ! » Dialogues du film ƒdipe Roi ƒdipe ne rĂ©pond mot et adopte une attitude de dĂ©fi. La scĂšne se dĂ©roule sous une lumiĂšre aveuglante ƒdipe tient un branchage en guise d’ombrelle. S’ensuit une interminable sĂ©quence pleine de bruit et de fureur » entre les hurlements de dĂ©ment d’ƒdipe et les armes qui s’entrechoquent. Pasolini multiplie les contre-jours pour accompagner cette frĂ©nĂ©sie meurtriĂšre. Chaque soldat est tuĂ© sous un contre-jour brutal, il en est de mĂȘme de LaĂŻos. La sĂ©quence elle-mĂȘme se clĂŽt d’une maniĂšre similaire, qui se veut l’image de l’aveuglement croissant d’ƒdipe. En tant qu’il est tabou, le parricide est masquĂ© par une lumiĂšre outranciĂšre et de façon rĂ©currente par des images rendues volontairement floues ou de laconiques Ă©clats de soleil dans l’objectif, qui sont autant de reprĂ©sentations de la perdition d’Oedipe. A noter que ce dernier brise les genoux d’un jeune soldat durant la rixe Ă©pico-sanglante afin de s’en dĂ©barrasser. Ce choix n’est en aucun cas anodin puisque cette partie du corps est prĂ©cisĂ©ment le lieu oĂč naquit en Pasolini l’amour des hommes. Ce qui a fait dire Ă  HervĂ© Joubert Laurencin On dirait que l’ƒdipe guerrier de Pasolini veut dĂ©truire en mĂȘme temps que son pĂšre, et en vain, ce lieu du corps par oĂč l’irrĂ©pressible amour des hommes s’est installĂ©. » Dans Portrait du PoĂšte en CinĂ©aste, HervĂ© Joubert-Laurencin, Ă©ditions Seuil, Les Cahiers du CinĂ©ma, Paris, 1995 Les sentiments qu’éprouvait Pasolini envers son pĂšre se rĂ©vĂšlent dĂšs lors comme emplis d’ambiguĂŻtĂ©. Il ne semble pas que la haine soit le seul liant Ă  son pĂšre J’ai toujours vouĂ© Ă  mon pĂšre un amalgame de sentiments contradictoires » Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 23 Ce rejet excessif de la figure paternelle coĂŻncide donc, d’un point de vue psychanalytique, avec la lente rĂ©vĂ©lation qui s’est opĂ©rĂ©e en lui de son amour pour les hommes. Ce qui lui a fait dire rĂ©trospectivement Je n’avais pour mon pĂšre qu’un amour partiel, presque exclusivement tournĂ© vers le sexe » Ibid Sans faire le jeu d’un rĂ©sonnement simpliste, haĂŻr son pĂšre tout au moins le croire c’est ici tenter d’enfouir, de se cacher Ă  soi-mĂȘme cette attirance naissante mĂȘme si cela n’est pas l’unique cause comme nous aurons l’occasion de le dĂ©velopper plus aprĂšs. Le volet euripidien de la trilogie antique propose lui aussi un modĂšle masculin, paternel, nĂ©gatif en la personne de Jason. Le film lui confĂšre une complexitĂ© moindre que celle de MĂ©dĂ©e. ConformĂ©ment Ă  la tragĂ©die originale, Jason ne fait aucun cas du sacrifice de l’hĂ©roĂŻne elle va jusqu’au fratricide Ă  son Ă©gard et de l’aide prĂ©cieuse qu’elle lui a offerte pour s’emparer de la Toison d’or. Il l’abandonne ainsi, elle et ses enfants, pour satisfaire ses intĂ©rĂȘts personnels et en Ă©pouser une autre GlaucĂ©. Ses maniĂšres sont machistes et elles atteignent parfois le ridicule Ă  l’instar de cette scĂšne oĂč il rend visite Ă  MĂ©dĂ©e, dans le contexte de son imminent mariage avec la fille de CrĂ©on, et lui adresse en guise d’au revoir et de remerciement des baisers de coq de village ». Ce passage quasi-burlesque brise momentanĂ©ment la tonalitĂ© tragique du film et souligne le caractĂšre futile et irrespectueux du personnage de Jason. Il est de plus l’image mĂȘme de l’ĂȘtre dĂ©sacralisĂ© que l’auteur s’évertue Ă  dĂ©noncer et en cela il est totalement contemporain de Pasolini. Jason a fait fi de tout questionnement mĂ©taphysique et privilĂ©gie la recherche de succĂšs personnels. Il est ainsi celui qui dĂ©clenche la tragĂ©die. Ce sentiment d’animositĂ© ambivalente Ă  l’égard du pĂšre est donc palpable Ă  la fois dans ƒdipe Roi et dans MĂ©dĂ©e. Pasolini n’est donc pas ignorant du modĂšle universel et hors du temps des relations entre pĂšre et fils dĂ©livrĂ© par la GrĂšce antique. Il l’a lui-mĂȘme vĂ©cu. La pertinence d’une adaptation des mythes hellĂ©niques au cinĂ©ma rĂ©side ainsi dans leur nature fondatrice. La tragĂ©die de Sophocle est par exemple d’une Ă©tonnante modernitĂ© Ă  cet Ă©gard. L’autre versant du complexe, et plus gĂ©nĂ©ralement des relations parents/enfants, est maternel. Chapitre 3 La relation Ă  la mĂšre Je dirai simplement que j’ai Ă©prouvĂ© un grand amour pour ma mĂšre. Sa prĂ©sence physique, sa façon d’ĂȘtre, de parler, sa discrĂ©tion et sa douceur subjuguĂšrent toute mon enfance. J’ai cru longtemps que toute ma vie Ă©motionnelle et Ă©rotique Ă©tait dĂ©terminĂ©e exclusivement par cette passion excessive, que je tenais mĂȘme pour une forme monstrueuse de l’amour » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, Page 22 Pasolini a Ă©prouvĂ© ce dĂ©sir de possession de la mĂšre dĂ©crit par Freud. Le motif maternel est d’ailleurs rĂ©current dans l’ensemble de son Ɠuvre que l’on s’en tienne au cinĂ©ma avec ƒdipe, MĂ©dĂ©e, Mamma Roma
ou que l’on s’attarde sur ses romans comme PĂ©trole, qui traite de l’inceste, ou encore les poĂšmes frioulans de sa jeunesse le goĂ»t de la poĂ©sie dont il avoue qu’il est liĂ© Ă  sa mĂšre, en ce qu’elle lui composa un poĂšme dans son enfance. L’adoption de la langue frioulane est Ă©galement un moyen de se dĂ©marquer de son pĂšre ; elle est dĂ©jĂ  l’expression d’un rejet. Notons que Mamma Roma, son second film, met en scĂšne une sorte de complexe d’ƒdipe inversĂ© puisque c’est la mĂšre qui, mĂ©taphoriquement, dĂ©sire son fils et veut se marier avec lui. Le prologue vĂ©riste et autobiographique de l’ƒdipe Roi laisse dans un premier temps transparaĂźtre les relations harmonieuses, prĂ©cĂ©dant l’avĂšnement du complexe, entre la mĂšre et son fils. Cet Ă©quilibre est suggĂ©rĂ© Ă  l’image par l’alternance rĂ©guliĂšre de champs /contre-champs. Le long panoramique plan subjectif c’est le regard de l’enfant qui suit la cime des arbres qui bordent le prĂ© renforce cette idĂ©e d’osmose mĂšre/fils, tout comme l’omniprĂ©sence dans le cadre de la nature mĂšre ». AprĂšs ce panoramique, la camĂ©ra plonge d’ailleurs dans l’herbe du prĂ© qui remplit le cadre et nous laisse entrevoir cette entente fusionnelle entre le fils et la mĂšre, comme une plongĂ©e dans l’herbe utĂ©rine. Pourtant dĂšs le prologue, le complexe et la rupture tragique se font pressentir. Dans le prĂ©, l’enfant se retrouve Ă©tonnement seul sous un soleil aveuglant ; il en sera de mĂȘme lorsque ses parents s’absentent durant une soirĂ©e pour le bal de nuit cette fois-ci. La camĂ©ra accorde d’ailleurs une gravitĂ© toute particuliĂšre Ă  cet Ă©pisode. Autre sĂ©quence troublante celle durant laquelle Silvana Mangano donne le sein Ă  l’enfant dans le prĂ©. Elle jette un regard Ă  la camĂ©ra Ă  la maniĂšre de la Monika de Bergman ou des hĂ©ros godardiens afin de jeter le trouble chez les spectateurs, d’abord empreint de joie et de sĂ©rĂ©nitĂ© Ă  l’image de sa relation avec son fils et, soudain, ce mĂȘme regard s’assombrit peu Ă  peu comme si elle avait eu le pressentiment d’un drame Ă  venir. Enfin la sĂ©rĂ©nitĂ© semble reprendre le dessus et elle porte de nouveau les yeux sur son enfant. La partie centrale, plus proprement sophoclĂ©enne, va mettre en scĂšne l’inceste. C’est donc le mythe qui dit le tabou. ƒdipe terrasse le sphinx et par la mĂȘme la peste qui s’était abattue sur la citĂ©. Il obtient ainsi de CrĂ©on la main de Jocaste. AprĂšs avoir assassinĂ© son pĂšre, ƒdipe s’apprĂȘte Ă  s’unir avec sa mĂšre. Une forte pĂ©nombre recouvre Ă  l’écran les Ă©poux dans leur lit incestueux et par consĂ©quent l’inmontrable, l’indicible tabou sexuel. Lors de l’union charnelle de la mĂšre et du fils, Pasolini opĂšre des coupures brutales. La peste touche de nouveau la ville et aux plans du lit incestueux se succĂšdent des plans sur les cadavres gangrenĂ©s par la peste qui jonchent le sol des abords de ThĂšbes. Jocaste, Ă©tendue, nous Ă©voque presque un de ces nombreux cadavres. Mort et amour interdit se confondent Ă  l’image par la rapide alternance des plans. Le tabou sexuel est aussi enveloppĂ© de pesants silences qui semblent accroĂźtre le poids de la culpabilitĂ©. La prise de conscience de la rĂ©alitĂ© de l’acte incestueux par Jocaste et son fils/amant est plutĂŽt ambiguĂ«. Pour ƒdipe cette dĂ©couverte se fait progressivement dans la tragĂ©die d’origine, alors que dans le film on peut penser qu’il le subodore dĂšs le dĂ©but. Ce prĂ©supposĂ© est soutenu, formellement, par les crises de cyclothimie d’ƒdipe qui alterne de soudains emportements de colĂšre et de lourds et Ă©tranges silences. Jocaste paraĂźt connaĂźtre la rĂ©alitĂ© au fond d’elle-mĂȘme puisqu’elle entend mĂȘme de loin chaque rĂ©vĂ©lation faĂźte Ă  ƒdipe et pourtant elle feint de nier l’évidence. Et lorsque ƒdipe, Ă©tendu sur elle, lui assĂšne toute la vĂ©ritĂ©, alors retentissent les cris pleins de dĂ©sespoir de Jocaste qui rĂ©pĂšte Je ne veux plus t’entendre. » Dialogues tirĂ©s du film ƒdipe Roi Pasolini a confĂ©rĂ© Ă  Jocaste un aspect spectral un rapprochement peut-ĂȘtre effectuĂ© avec l’angĂ©lisme de MĂ©dĂ©e. Son visage est fardĂ© de blanc mais il est, aussi, bien souvent dĂ©nuĂ© d’expression. Nous sommes renvoyĂ©s Ă  un modĂšle atemporel de la mĂšre. Elle n’est plus la mĂšre d’ƒdipe mais celle de chaque fils qui a dĂ©sirĂ© sa mĂšre. N’est-ce pas elle d’ailleurs qui prononce cette phrase typiquement freudienne et pourtant originellement de Sophocle Pourquoi as-tu peur d’ĂȘtre l’amant de ta mĂšre ? Tant d’hommes ont rĂȘvĂ© de l’ĂȘtre, dans leurs songes » Ibid. Et qui est aussi prĂ©sente dans la tragĂ©die grecque mais sans le mot amant, ajoutĂ© par Pasolini Ne redoute pas l’hymen d’une mĂšre bien des mortels ont dĂ©jĂ  dans leurs rĂȘves partagĂ© le lit maternel » ƒdipe Roi de Sophocle, traduction de Paul Mazon, TragĂ©dies complĂštes de Sophocle, Folio classique. Pasolini ne fait que traduire Ă  l’écran, en la personne d’une mĂšre spectrale et hors du temps, ce que Sophocle avait dĂ©jĂ  compris. Puis surgit le tragique avec le suicide de Jocaste qui se pend prĂšs du lit fautif et l’autopunition d’ƒdipe se crevant les yeux aprĂšs avoir trouvĂ© sa mĂšre morte. DĂšs lors l’épilogue met en scĂšne la sublimation freudienne qui veut que les pulsions changent d’objet. ƒdipe /Pasolini ne peut possĂ©der sa mĂšre, l’inceste Ă©tant l’objet interdit par la censure, la sublimation consiste alors Ă  lui substituer un autre objet qui a une valeur sociale. Elle serait ainsi chez Freud la source des productions intellectuelles et esthĂ©tiques et peut-ĂȘtre chez Pasolini l’origine de cette insatiable recherche d’une sacralitĂ© perdue. Cette derniĂšre partie se dĂ©roule dans une Italie contemporaine de la sortie du film en salles. AprĂšs avoir Ă©tĂ© fils incestueux, Oedipe devient sage errant et joueur de flĂ»te. Il se trouve dans la situation de TirĂ©sias, son acte d’autopunition avait un but cathartique. Il lui a permis d’accĂ©der Ă  un autre Ă©tat poĂ©tique ?. Ce n’est pas Antigone qui l’accompagne mais un jeune garçon, Ninetto Davoli dont certains prĂ©tendent qu’il correspond plus Ă  la condition homosexuelle de l’auteur
. Il le conduit dans le prĂ© de son enfance, celui du prologue. DĂ©bute dĂšs lors tout un jeu d’échos mĂȘme panoramique subjectif sur la cime des arbres par exemple que celui du prologue. C’est ƒdipe qui recouvre la vue une derniĂšre fois avant de mourir Ô lumiĂšre que je ne peux plus voir, qui fut mienne un jour, illumine moi une derniĂšre fois » Dialogues du film ƒdipe Roi. Autre Ă©cho qui, cette fois-ci, marque la fin du film c’est un mouvement plongeant de camĂ©ra dans l’herbe du prĂ©. Cette herbe, plein cadre, devient alors la mĂ©taphore de la reprise d’une origine. Le prĂ© est en quelque sorte le lieu matriciel. ƒdipe rĂ©intĂšgre symboliquement l’utĂ©rus et redevient fƓtus ; comme un rappel des vers qu’il faisait rĂ©citer Ă  Orson Welles dans La Ricotta en 1962 Et moi, fƓtus adulte, j’erre plus moderne que tout moderne Ă  la quĂȘte de frĂšres qui ne sont plus. » Dans Poesie Mondane, Pier-Paolo Pasolini, Avril-Juin 1962. Cette citation est Ă©tonnamment proche de celle de Rousseau qui se trouve au dĂ©but de Les rĂȘveries d’un promeneur solitaire Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frĂšre, de prochain, d’ami, de sociĂ©tĂ© que moi-mĂȘme. » Terre et mĂšre sont ici associĂ©es, et cette relation fait apparaĂźtre la lecture anthropologique et ethnologique des mythes grecs chez Pasolini. Comme nous l’avons dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, il affirme avoir Ă©tĂ© plus inspirĂ© par les travaux de Mircea Eliade, LĂ©vy-bruhl et LĂ©vi-Strauss que par Euripide pour adapter MĂ©dĂ©e. Le cinĂ©aste rĂ©vĂšle Ă  l’écran un sens obsessionnel de la topologie. Les plans fixes ou mobiles sur des paysages sont en nombre plĂ©thorique dans les trois films de la trilogie. Dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine la camĂ©ra montre des hommes travaillant la terre d’une maniĂšre ancestrale ; la vĂ©gĂ©tation et la nature en gĂ©nĂ©ral emplissent les plans. L’image est contaminĂ©e » par les paysages. Selon Mircea Eliade, l’homme Ă©prouve un sentiment de parentĂ© cosmique avec son environnement que Pasolini semble vouloir retranscrire ici. On pense dĂšs lors aux RĂȘveries d’un promeneur solitaire de Rousseau La nuit s’avançait. J’aperçus le ciel, quelques Ă©toiles, et un peu de verdure. Cette premiĂšre sensation fut un moment dĂ©licieux. [
] Je naissais dans cet instant Ă  la vie, et il me semblait que je remplissais de ma lĂ©gĂšre existence tous les objets que j’apercevais. Tout entier au moment prĂ©sent je ne me souvenais de rien ; je n’avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idĂ©e de ce qui venait de m’arriver ; je ne savais ni qui j’étais ni oĂč j’étais ; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiĂ©tude. Je voyais couler mon sang comme j’aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m’appartĂźnt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon ĂȘtre un calme ravissant auquel, chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l’activitĂ© des plaisirs connus. » Dans la deuxiĂšme promenade des RĂȘveries d’un promeneur solitaire, Flammarion collection GF/corpus philosophie, Paris, 1997 C’est toute la relation fusionnelle de l’homme avec la nature mĂšre qui transparaĂźt dans ces lignes. Rousseau Ă©prouve en son sein un profond sentiment de quiĂ©tude et la voluptĂ© du bien ĂȘtre. C’est ce que recherche le personnage dans ƒdipe Roi, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© pour celui-ci d’ĂȘtre enterrĂ© sur le lieu mĂȘme de sa naissance. Mourir oĂč tout a commencĂ© c’est retrouver la terre mĂšre, autrement dit, c’est retrouver la part de sacralitĂ© attachĂ©e Ă  la naissance et l’apaisement d’une union recouvrĂ©e avec la nature. Cette fascination palpable pour la terre est retranscrite Ă  l’image par des cadrages obsĂ©dants. Il s’agit de figurer la sacralitĂ© tellurique. Ce retour Ă  la mĂšre dans l’épilogue, c’est aussi la figuration de l’illud tempus » Ă©voquĂ© par Mircea Eliade, d’une Ă©ternitĂ© retrouvĂ©e. Dans la mythologie grecque le culte de Gaia Ă©tait trĂšs rĂ©pandu, tout homme Ă©tait considĂ©rĂ© comme son fils puisqu’elle Ă©tait Ă  l’origine de l’humanitĂ©. Eschyle l’évoque d’ailleurs dans les choĂ©phores, la terre est MĂšre de toutes choses, qui toutes les nourrit puis recueille leur dernier germe. » Dans Les ChoĂ©phores d’Eschyle, vers 127-128, traduction de Daniel Loayza, Flammarion, Paris, 2001 Dans MĂ©dĂ©e des cultes lui sont rendus. Maria Callas y est la grande prĂȘtresse de Colchide qui opĂšre des rites de fertilitĂ© par des sacrifices humains. LĂ  encore l’intertextualitĂ© est flagrante, Pasolini fait allusion au texte de Mircea Eliade dans son TraitĂ© des Religions Ă  propos du lien entre sacrifice et rĂ©gĂ©nĂ©ration Le rituel refait la crĂ©ation ; la force active dans les plantes se rĂ©gĂ©nĂšre par une suspension du temps et par le retour au moment initial de la plĂ©nitude cosmogonique. Le corps morcelĂ© de la victime coĂŻncide avec le corps de l’ĂȘtre mythique primordial qui a donnĂ© vie aux graines par son morcellement rituel » TraitĂ© d’Histoire des Religions, Mircea Eliade page 292, Payot, Paris, 1986 MĂ©dĂ©e est d’ailleurs le personnage fĂ©minin le plus fort de la trilogie. La complexitĂ© que lui avait confĂ©rĂ© Euripide est encore soulignĂ©e par Pasolini. En tant que femme, elle est directement liĂ©e au mystĂšre de l’existence. Cette fascination pour MĂ©dĂ©e et cette omniprĂ©sence de la nature Ă  l’écran sont comme les indices d’un hypothĂ©tique regret de l’auteur de ne pas ĂȘtre une femme. Et ce dans la mesure oĂč toutes deux sont le lieu de la fĂ©condation et par consĂ©quent d’une renaissance perpĂ©tuelle. MĂ©dĂ©e incarne l’alternative mystique » et donc salvatrice de l’humanitĂ© » pour Pasolini. Elle accomplit un acte d’amour insensĂ© en assassinant ses enfants pour les prĂ©server du monde terrifiant » on ne sait oĂč il va que leur propose Jason. Elle les dĂ©livre ainsi du temps linĂ©aire dans lequel Jason les condamnait Ă  vivre. C’est le surgissement du tragique comme irruption du sacrĂ©. L’hĂ©roĂŻne euripidienne est Ă©galement un personnage d’exclue, de marginale, ce qui a fait dire Ă  Jean Duflot, Ă  propos de Pasolini dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie MĂ©dĂ©e transcrit donc aussi le drame personnel de votre propre exclusion ». Ce que le cinĂ©aste ne nie nullement puisque, on le sait, il a fait l’expĂ©rience de cette exclusion en tant qu’homosexuel et artiste subversif Moi, le fascisme, je l’ai vĂ©cu sur mon corps. » Extrait de Les DerniĂšres Paroles d’un Impie Cette prééminence accordĂ©e Ă  la figure de la mĂšre traduit chez l’auteur une nostalgie du passĂ©. Il a aussi souhaitĂ© mettre en exergue la complexitĂ© du rapport Ă  la mĂšre et l’importance du modĂšle grec de par sa contemporanĂ©itĂ©. Le pĂšre et la mĂšre doivent ĂȘtre compris comme les images originelles de la psychĂ© humaine. Nos relations aux parents sont structurantes pour notre psychisme et ces relations dĂ©coulent toujours des grecs. Pasolini veut nous montrer que nous sommes encore tributaire de cet hĂ©ritage hellĂ©nique. Ce sont les mythes, de par leur nature atemporelle, qui sont les vecteurs de ce tissu psychique. Ils livrent la clĂ© d’un retour Ă  l’équilibre. Le souci d’une rĂ©gression vers le lieu matriciel comme dans l’épilogue d’ƒdipe Roi ou vers une rĂ©alitĂ© plus barbare », qui est celle du mythe, trahissent des idĂ©aux presque rousseauistes. Il s’estime embourbĂ© dans sa condition d’intellectuel bourgeois. Alors que pour lui la civilisation est une perversion, ĂȘtre ou revenir Ă  l’état de nature, c’est se rapprocher de l’éternitĂ©. D’oĂč son vif intĂ©rĂȘt pour ceux qu’il appelle les enfants de mauvaise vie du nom d’un de ses romans Ragazzi di Vita » dont il envie l’innocence. Ce sont les personnages d’Accatone issus des faubourgs romains par exemple. Et dans la trilogie antique, ce sont les peuples du Tiers Monde » non encore totalement et irrĂ©versiblement pervertis » par la civilisation occidentale. A l’image, cette nostalgie d’un certain Ă©tat de nature est notamment liĂ©e Ă  une autre thĂ©matique qui en est la reprĂ©sentation iconique il s’agit de la nuditĂ©. Chapitre 4 La nuditĂ© figure du degrĂ© de dĂ©naturation et d’une mise Ă  nu psychanalytique La nuditĂ©, qu’elle soit celle des hommes ou des terres, possĂšde une charge symbolique importante dans la trilogie pasolinienne. L’image trahit bien souvent les idĂ©aux utopistes d’un retour au primitif ». Il est intĂ©ressant Ă  cet Ă©gard de rapprocher Pasolini de Rousseau et de sa fameuse thĂ©orie de l’ Ă©tat de nature ». Rousseau ne prend pas parti pour l’état le plus primitif, mais pour un Ă©tat oĂč la vie sociale et la civilisation sont Ă  leurs prĂ©mices, qui serait une sorte d’équilibre entre l’insouciance de l’état primitif et l’activitĂ© fiĂ©vreuse de notre amour-propre. Il Ă©voque ainsi un commencement du monde que nous n’aurions pas dĂ» quitter. C’est de cet Ăąge dont Pasolini est nostalgique et il l’associe volontiers Ă  l’écran Ă  la nuditĂ©. Elle traduit chez les personnages un degrĂ© de corruption, de perversion. Lorsque Pasolini nous prĂ©sente Jason enfant, il est nu tout au long de la journĂ©e. C’est encore le temps de l’innocence, de la naĂŻvetĂ©. L’enfant figure l’état de nature non encore corrompue. Il en est tout autre lorsque celui-ci s’apprĂȘte Ă  Ă©pouser GlaucĂ© Ă  Corinthe. Ville dans laquelle Jason est pleinement devenu l’homme dĂ©sacralisĂ© et techniciste que Pasolini abhorre. Il est alors parĂ© de riches Ă©toffes colorĂ©es Ă  la maniĂšre de la Cour du roi de Corinthe. La somptuositĂ© des parures se fait la mĂ©taphore mĂȘme d’une sociĂ©tĂ© corrompue qui ne croit plus, loin de sa nuditĂ© et de son innocence originelles. A cette citĂ© s’oppose la province de Colchide d’oĂč est issue MĂ©dĂ©e. Les costumes y sont radicalement diffĂ©rents; faits de paille, de plantes sĂ©chĂ©es, de cornes, d’os, de plumes, de clous et mĂȘme d’animaux empaillĂ©s Ă  l’image d’un pays sauvage oĂč rĂšgne les divinitĂ©s chtoniennes DivinitĂ©s de la terre, du monde souterrain. Les vĂȘtements sont ainsi de couleur terre, ce qui rend presque malaisĂ© la distinction entre les habitants et le sol qu’ils foulent. Leurs habitations sont mĂȘme semblables Ă  des terriers façonnĂ©s dans la boue, rendant Ă©troite la frontiĂšre entre l’homme et la bĂȘte. Le choix des matĂ©riaux utilisĂ©s manifeste la nuditĂ© d’un peuple qui semble encore en ĂȘtre Ă  ses premiers Ăąges et dont la vie quotidienne est rĂ©gie par le sacrĂ©. Ceci fait d’ailleurs Ă©cho au choix de l’art africain pour les costumes, les instruments et les masques dans ƒdipe Roi. LĂ  encore sont utilisĂ©s des coquillages, des Ă©corces, des plumes, des os
pour rendre compte d’une sĂ©cheresse qui se veut reprĂ©sentation de la nuditĂ©. Autre Ă©cho celui du personnage d’ƒdipe au regard de Jason. Le hĂ©ros sophoclĂ©en est d’abord nu, que ce soit dans le prologue en tant que Pasolini ou au dĂ©but du rĂȘve mythique » central. Et ce n’est qu’à l’acmĂ© de son aveuglement qu’il apparaĂźtra richement vĂȘtu au seuil de sa demeure. La hauteur et la magnificence de sa couronne tĂ©moignent de la dĂ©mesure dont il fait preuve ; il est alors proche de sa perdition. Et lorsque il retourne, durant l’épilogue, Ă  l’état de nature dans le prĂ© originel il n’est vĂȘtu que de haillons. C’est enfin Oreste dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine qui suit chez Pasolini un chemin presque similaire. Lui aussi apparaĂźt dans un premier temps nu Ă  ceci prĂšs qu’il n’est pas enfant. Il revĂȘt les traits d’un africain contemporain de Pasolini qui quitte son village natal poussĂ© en cela par les Furies pour intĂ©grer une grande citĂ© moderne occidentalisĂ©e et son universitĂ©. Ce trajet s’en accompagne d’un autre puisque Oreste se voit par la mĂȘme occasion contraint de se vĂȘtir. L’entrĂ©e dans la civilisation » est marquĂ©e par l’abandon de la nuditĂ©. Ses nouveaux vĂȘtements sont comme le reflet d’un changement identitaire et la frontiĂšre au-delĂ  de laquelle l’état de nature est perdu. Ce qui fait dire Ă  Pasolini La culture appauvrit, simplifie peu Ă  peu la nature. Plus on vit Ă  l’état de nature, plus ce code est complexe, et vivant. » Dans Du RĂ©alisme au CinĂ©ma, BarthĂ©lemy Amengual, page 451, Nathan, Paris, 1997 Ce qui explique notamment son grand intĂ©rĂȘt pour les enfants pauvres des quartiers sous-prolĂ©taires romains, pour les populations du Tiers Monde » ou pour la poĂ©sie dialectale de ses dĂ©buts tous trois figures d’une proximitĂ© avec une nature complexe. La thĂ©matique de la nuditĂ© prend corps, dans une dimension au moins Ă©gale, Ă  travers les lieux, les dĂ©cors. Les dĂ©serts notamment s’imposent Ă  l’écran et s’y rĂ©vĂšlent lieux de fragilisation des personnages, de questionnement mĂ©taphysique et de mise Ă  nu psychanalytique. Dans ƒdipe Roi, tout est sĂ©cheresse et par consĂ©quent nuditĂ© les montagnes, les espaces dĂ©sertiques, le soleil pesant, les cieux invariablement bleus, les architectures de bois et de boue
On pense aux dĂ©cors rocailleux Ă©voquĂ©s dans le Critias de Platon 111b Ă  propos de l’Attique L’image d’un corps que la maladie a rendu squelettique. » Dans Critias de Platon, 111b, traduction de Michel Patillon et Luc Brisson, Flammarion, Paris, 1992 Ou encore Il ne reste plus que son corps dĂ©charnĂ©. » Ibid Face au sublime du lieu dĂ©sertique, les personnages sont renvoyĂ©s Ă  eux-mĂȘmes et Ă  leurs angoisses. MĂ©dĂ©e erre ainsi, dĂ©boussolĂ©e, sur une terre craquelĂ©e par la sĂ©cheresse et s’interroge Parle-moi, Terre ! Fais-moi entendre ta voix. Je ne me souviens plus de ta voix. Parle-moi, Soleil ! OĂč puis-je entendre vos voix ? Parle-moi, Terre
Parle-moi, Soleil
Vous ĂȘtes-vous perdus Ă  jamais ? Je n’entends plus rien. Toi herbe, parle-moi ! Toi, Pierre, parle-moi ! Terre qu’as-tu fait de ton sens ? OĂč vais-je te retrouver ? OĂč est le lien qui te liait au soleil ? Mes pieds touchent la terre, je ne la reconnais pas. Je regarde le soleil, je ne le reconnais pas. » Dialogues issus du film MĂ©dĂ©e MĂ©dĂ©e y exprime son malaise, la perte de son identitĂ© liĂ©e Ă  la perte de son lien avec la terre et donc avec le sacrĂ©. La nuditĂ© dĂ©sertique livre tout autant ƒdipe Ă  l’introspection. Selon Deleuze, les dĂ©serts sont chez Pasolini des Espaces dĂ©connectĂ©s du temps qui enfouissent nos propres fantĂŽmes ». Ils favorisent l’éclosion du doute mĂ©taphysique sous forme d’intertitres interrogateurs OĂč donc va ma jeunesse ? OĂč va ma vie ? » Dialogues issus du film ƒdipe Roi Auxquels succĂšdent immĂ©diatement un panoramique subjectif au centre duquel se trouve ƒdipe sur ce mĂȘme paysage de dĂ©sert qui le cerne de toutes parts. Peut-ĂȘtre est-ce le destin qui ne lui laisse dĂ©jĂ  plus aucun recours, aucune possibilitĂ© de lui Ă©chapper. Cet effet de camĂ©ra se produit d’ailleurs Ă  plusieurs reprises dans le film. La nuditĂ© des personnages et des dĂ©cors n’est pas seule Ă  initier une mise Ă  nu mĂ©taphysique. Le mythe constitue dĂ©jĂ  un questionnement et un dessillement, comme le souligne Mircea Eliade dans son TraitĂ© des Religions Le mythe dĂ©couvre une rĂ©gion ontologique inaccessible Ă  l’expĂ©rience logique superficielle. » TraitĂ© des Religions, Mircea Eliade, page 350, Payot, Paris, 1986 Il tĂ©moigne des forces mentales qui habitent profondĂ©ment la psychĂ© humaine. A travers lui, nous pouvons nous relier Ă  nous-mĂȘmes comme Ă©tant uniques, singuliers. Mais chez Pasolini les mythes sont Ă©galement la reprĂ©sentation de l’innocence d’une Ăšre premiĂšre de l’humanitĂ©. Seulement ils ne se font pas uniquement l’écho des structures psychiques sous-jacentes de l’individu, ils condensent aussi l’histoire d’un peuple et rĂ©vĂšlent par consĂ©quent une dimension collective. Leur atemporalitĂ© et leur caractĂšre exemplaire font du mythe un modĂšle ahistorique » Ă  l’aune duquel peut ĂȘtre Ă©valuĂ© et remis en question le prĂ©sent. Partie 2 Le passĂ© mythique au secours du present la dimension collective, sociĂ©tale Chapitre 1 Le mythe comme lien avec le passĂ© et nostalgie du sacrĂ© chez Pasolini. Une rĂ©alisation en fonction de sacralisation des ĂȘtres et des choses Je suis de plus en plus scandalisĂ© par l’absence de sens du sacrĂ© de mes contemporains. » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 103 Cette phrase semble se faire l’écho de celle que l’on attribue Ă  tort ou Ă  raison Ă  AndrĂ© Malraux Le 21Ăšme siĂšcle sera spirituel ou ne sera pas. » Ce qui est sĂ»r c’est que tous deux ont prĂ©sumĂ© la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©ouverture Ă  la transcendance. Leurs paroles sonnent comme une mise en garde contre un capitalisme et un progrĂšs fruit du souffle abrahamique occidental qui font fi de tous les obstacles, qu’ils soient culturels ou spirituels. Pour Pasolini, le libĂ©ralisme laisse planer un vent faussement libertaire qui sert d’abord ses propres intĂ©rĂȘts. Le 20Ăšme siĂšcle marqua l’apogĂ©e du rĂšgne de l’homme socratique dĂ©sacralisĂ© plus encore qu’au siĂšcle des LumiĂšres qui pense pouvoir tout rationaliser. SociĂ©tĂ© que Pasolini rejette Je suis allergique Ă  la civilisation technologique, Ă  notre monde trop rationnel. Et donc que me reste-t-il, sinon Ă  exprimer le reflet du passĂ© ? » Ibid, page 104 Jason en est une figure Ă  l’écran. Or Nietzsche montre que mĂȘme Socrate s’est laissĂ© bercer par un mystĂ©rieux Ă©lan mystique Ă  la fin de sa vie c’est le fameux Socrate musicien ». Et, lorsqu’il Ă©crit Naissance de la TragĂ©die, il pense qu’un renouveau passera par l’avĂšnement de ce Socrate musicien ». Pasolini le pense aussi Ă  sa maniĂšre. Il affirme d’ailleurs dans le document vidĂ©o Pasolini l’enragĂ© que L’enragĂ© idĂ©al, l’enragĂ© merveilleux c’est Socrate. ». Il est au fait mĂȘme de la nĂ©vrose cosmique » dans laquelle sont plongĂ©s ses contemporains. Ils ont Ă©tĂ© projetĂ©s de l’éternitĂ© dans le temps et Ă©prouvent un sentiment de sĂ©paration d’avec les choses. La revalorisation d’anciennes valeurs sacrĂ©es au niveau profane en est la preuve les multiples superstitions, le recyclage » de certaines fĂȘtes d’origine sacrĂ©e
LĂ©vy Bruhl a d’ailleurs dit Si, l’on admet l’étroite parentĂ© de notre folklore avec les mythes et les contes primitifs [
], c’est donc une mĂȘme mentalitĂ© qui s’exprime en lui et en eux. » Dans Mythologie primitive, LĂ©vy-Bruhl, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1963 Dans le cinĂ©ma de Pasolini la mythologie vient supplĂ©er Ă  ce sentiment de rupture du lien avec la nature. On sent chez Pasolini cette volontĂ© de relier notre prĂ©sent Ă  un passĂ© mythique exemplaire et donc toujours prĂ©sent. Et son Ɠuvre se fait le vecteur de ce combat. L’utilisation du mythe est didactique, elle souligne sa nostalgie du sacrĂ©. Et l’espoir d’une resacralisation salvatrice passe notamment par sa maniĂšre de filmer. Dans MĂ©dĂ©e c’est dĂ©jĂ  la parole, en se retirant de l’image qui fait acte de mythe. La raretĂ© des dialogues est l’image mĂȘme d’une prĂ©histoire mutique, primaire, barbare ». Et c’est parce qu’il parle de l’indicible donc du sacrĂ© que le film est majoritairement muet. Il est ainsi assignable Ă  un sens multiple. Pasolini utilise le corps de la Callas comme pouvant ĂȘtre porteur de sens et initiateur d’une rĂ©flexion. Plus largement, sa stylistique cinĂ©matographique a pour but de consacrer les choses. Il dĂ©veloppe ainsi son point de vue dans DerniĂšres Paroles d’un Impie Quand je fais un film, je me mets en Ă©tat de fascination devant un objet, une chose, un visage, des regards, un paysage comme s’il s’agissait d’un engin oĂč le sacrĂ© fĂ»t en imminence d’explosion. » Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 121 Dans cet optique, le cinĂ©aste marque son net refus du naturalisme au cinĂ©ma dans cette optique il use frĂ©quemment du champ/contre-champ afin d’éviter les rĂ©cits trop longs ; il rejette l’excessive utilisation du plan sĂ©quence qui reproduit, selon lui, la rĂ©alitĂ© Ă  l’identique sans produire de sens. Le montage est fondamental pour Pasolini, comme il l’est Ă©galement chez Godard il se veut dĂ©jĂ  subversif en ce qu’il est Ă©clatement des rĂšgles. Il prĂ©fĂšre voir la rĂ©alitĂ© comme une apparition sacrale » Extrait du documentaire vidĂ©o Pasolini l’enragĂ©, rĂ©alisĂ© par Jean-AndrĂ© Fieschi, dans la collection CinĂ©ma de notre Temps, produit par Janine Bazin et AndrĂ© 1966.; et, aux plans sĂ©quences, il oppose la rĂ©currence de plans fixes obsĂ©dants qui agissent comme des pauses lyriques. Cette simplicitĂ© technique dans sa façon de filmer se manifeste dans la multiplication des gros plans frontaux, que l’on trouvait dĂ©jĂ  dans son premier film Accattone, pour lesquels il disait La caractĂ©ristique de cette structure stylistique est l’apparition du dĂ©sespoir c’est-Ă -dire la disparition de l’espoir comme disparition de l’amour pour l’homme moyen et amour pour l’homme exceptionnel. » Ibid Il s’agit bien de sacraliser les personnages. Dans la trilogie antique nous retrouvons ce type de figures ; par exemple dans ƒdipe Roi lorsque le hĂ©ros sombre dans le doute ou qu’il s’interroge sur sa propre existence. C’est aussi le cas de MĂ©dĂ©e en pleine crise identitaire. Enfin dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine, Pasolini opĂšre une sorte de casting filmĂ© et cherche Ă  tĂątons les personnages de son film Ă  faire. On a ainsi un enchaĂźnement de plans fixes et une plĂ©thore de gros plans sur les visages. Plus gĂ©nĂ©ralement la forme que Pasolini dĂ©fend et utilise dans ses films est celle du cinĂ©ma poĂ©tique ». Il se fait jour dans sa trilogie grecque par l’intermĂ©diaire d’une kyrielle de procĂ©dĂ©s cinĂ©matographiques et stylistiques. Il y a d’abord le magma stylistique », que nous avons dĂ©jĂ  Ă©tudiĂ©, mais aussi les contre-jours que le cinĂ©aste veut faussement accidentels. Puis ce sont les mouvements cahotants de camĂ©ra Ă  l’épaule, les raccords dĂ©stabilisants, les interminables travellings horizontaux, les cadrages obsĂ©dants ou encore la fameuse subjective indirect libre » c’est-Ă -dire raconter l’histoire du point de vue d’un personnage en incluant sa dĂ©termination de classe. Pasolini en donne une dĂ©finition dans l’ExpĂ©rience HĂ©rĂ©tique Ă  la page 144 Payot, Paris, 1976 Il s’agit tout simplement de l’immersion de l’auteur dans l’ñme de son personnage et de l’adoption non seulement de la psychologie de ce dernier mais de sa langue. ». C’est un procĂ©dĂ© stylistique et non linguistique. Tous ces Ă©lĂ©ments concourent Ă  briser le carcan des rĂšgles formelles classiques pour faire naĂźtre un cinĂ©ma lyrique. Mais en quoi un tel cinĂ©ma peut-il avoir un lien avec la nostalgie d’un mysticisme perdu ? La poĂ©sie figure justement le sacrĂ© chez Pasolini en ce qu’elle porte en elle l’enchantement du monde et tĂ©moigne d’une sacralitĂ© oubliĂ©e par les siĂšcles du rationalisme. Elle offre, Ă  l’instar des mythes, une comprĂ©hension moins claire et directe du monde et de l’homme Ă  une Ă©poque oĂč le meilleur accĂšs Ă  la vĂ©ritĂ© est celui de la raison. C’est en quelque sorte l’alternative mystique
 Il donne Ă  cet Ă©gard une des clĂ©s de son Ɠuvre dans le document vidĂ©o Pasolini l’enragĂ© Le rossignol chante ab joy’, de joie. Mais joy’ en provençal avait un sens particulier d’extase, d’euphorie, d’ivresse poĂ©tique. Cette expression est peut-ĂȘtre la clĂ© de toute ma production. J’ai Ă©crit pratiquement ab joy’, au-delĂ  de toute rationalisation. » Extrait du documentaire vidĂ©o Pasolini l’enragĂ©, rĂ©alisĂ© par Jean-AndrĂ© Fieschi, dans la collection CinĂ©ma de notre Temps, produit par Janine Bazin et AndrĂ© 1966 Certes le documentaire est antĂ©rieur aux trois films grecs il a Ă©tĂ© fait en 1966 mais il est dĂ©jĂ  un Ă©clairage sur un projet artistique dont les mythes antiques sont la pleine expression. Rappelons enfin la tendance chez Pasolini Ă  la raphaĂ«lisation » des femmes. Il les filme comme des fantĂŽmes, des ĂȘtres intemporels. Il en va ainsi de Jocaste qui, le visage fardĂ© de blanc, apparaĂźt comme une mĂšre Ă©ternelle. Mais c’est aussi vrai pour MĂ©dĂ©e par exemple. L’angĂ©lisation de ses personnages fĂ©minins, avouĂ© par le cinĂ©aste, tend Ă  renforcer l’idĂ©e d’une stylistique filmique en fonction de sacralisation. Le cinĂ©aste reste convaincu que chaque ĂȘtre ou peuple restent, sous des dehors d’athĂ©isme moderne, investis par le mysticisme. Les diverses Ă©volutions n’ont pas fait disparaĂźtre le sacrĂ©, il perdure en nous. Pasolini ne croit pas aux dĂ©passements. Son cinĂ©ma s’emploie Ă  le dĂ©montrer. Chapitre 2 Pasolini et le parti pris d’une thĂšse anti-hĂ©gĂ©lienne, anti- dialectique Les dĂ©passements, les synthĂšses ! Illusions, c’est mon avis d’EuropĂ©en vulgaire, mais sans le moindre [cynisme] [
] La thĂšse et l’antithĂšse coexistent avec la synthĂšse voilĂ  la vĂ©ritable trinitĂ© de l’homme ni prĂ©logique ni logique. Mais rĂ©el. [
] » Extrait du poĂšme Callas, dans MĂ©dĂ©e, traduit de l’italien et prĂ©sentĂ© par Christophe Mileschi, ArlĂ©a pour la traduction française, Mars 2002, Paris. Comme l’avait soulignĂ© Nietzsche, c’est le savoir dialectique qui a mis Ă  mal et sonnĂ© le glas de la tragĂ©die grecque. Et c’est logiquement que Pasolini se fait l’ardent dĂ©fenseur d’une pensĂ©e anti-dialectique puisqu’il s’évertue Ă  faire revivre les mythes hellĂ©niques. Il rejette le systĂšme hĂ©gĂ©lien de la thĂšse, antithĂšse, synthĂšse. Pour lui il n’existe pas de continuitĂ© entre l’homme et la nature, il y a seulement coordination. Les choses coexistent entre elles, elles restent parfois enfouies mais sont toujours lĂ . Dans cette perspective Pasolini pense que le dĂ©passement et donc la synthĂšse est une illusion » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 135 car rien ne se perd vraiment. Dans son film ThĂ©orĂšme, la servante devient en quelque sorte une sainte aprĂšs le passage de l’étranger aux allures christiques et, lorsqu’elle s’enterre, elle constitue la figure de cette enfouissement des choses Ainsi le sacrĂ©, le mythe, les civilisations archaĂŻques, les peuples de la terre et de la nature, l’homme prĂ©historique, s’enterrent comme la servante folle de ThĂ©orĂšme, sans disparaĂźtre complĂštement. » Ibid Les idĂ©es de Pasolini diffĂšrent ainsi en un sens du matĂ©rialisme dialectique et historique marxiste proche en bien des points de la dialectique hĂ©gĂ©lienne qu’il juge illusoire. En effet, cette thĂ©orie ne pose pas la nature comme circulaire ou cyclique, mais comme un Ă©tat de changement perpĂ©tuel. Des choses s’y dĂ©sagrĂšgent puis disparaissent or Pasolini pense que d’une certaine maniĂšre celles-ci subsistent. Il a donc cessĂ© de croire en l’Histoire et Ă  son mouvement. Ce parti pris anti-dialectique s’applique au thĂšme central du sacrĂ© dans la trilogie antique. Le cinĂ©aste use du tragique des mythes et de leurs personnages pour retranscrire cinĂ©matographiquement sa vision anti-hĂ©gĂ©lienne. L’opposition exempte de toute synthĂšse s’incarne parfaitement dans les deux mondes que sont la Colchide et la citĂ© de Corinthe dans MĂ©dĂ©e. Le premier est un univers empreint de religiositĂ© ; il est archaĂŻque, barbare et tout y est trĂšs ritualisĂ©. On y pratique des sacrifices, notamment humains, pour rendre hommage Ă  la terre, Ă  la nature, Ă  la vie. Ils obĂ©issent Ă  un souci de rĂ©gĂ©nĂ©ration du monde comme l’explique Mircea Eliade dans son TraitĂ© des Religions Le sens de ces sacrifices humains doit ĂȘtre cherchĂ© dans la thĂ©orie archaĂŻque de la rĂ©gĂ©nĂ©ration pĂ©riodique des forces sacrĂ©es. » Dans le TraitĂ© des Religions, Mircea Eliade, page 292, Payot, Paris, 1986 Cette rĂ©gion est associĂ©e dans le film Ă  une croyance en un temps cyclique et par consĂ©quent sacrĂ©. Son antithĂšse c’est la conception profane de la citĂ© de Corinthe. Cette derniĂšre est en quelque sorte reprĂ©sentative du monde moderne occidental. C’est la ville athĂ©e dans laquelle rĂšgne la raison pratique et le pragmatisme. Les diffĂ©rences qui sĂ©parent ces deux univers sont renforcĂ©es par les couleurs des costumes qui sont attachĂ©s Ă  chacun des deux peuples teintes terreuses et bleutĂ©es pour la Colchide et le rouge pour Corinthe. D’un point de vue symbolique, bleu et rouge sont deux couleurs opposĂ©es. La premiĂšre figure l’immatĂ©rialitĂ©, l’esprit, l’immensitĂ©. Elle est La couleur du mental et des productions psychiques qui ne peuvent ĂȘtre tenues, palpĂ©es ni emprisonnĂ©es. Ainsi de toutes les teintes il est le plus indĂ©finissable et le plus changeant. Il vaut par ses nuances et ses variations infinies. [
]. Il alterne clartĂ© et mystĂšre. » Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Robert Laffont, Paris, 1997 Il semble donc parfaitement incarner la complexitĂ© du versant sacrĂ©. De l’autre cotĂ© nous trouvons le rouge qui symbolise le corps et la matiĂšre. Sa valeur n’est ni mentale ni spirituelle mais plutĂŽt matĂ©rielle. C’est la citĂ© dĂ©sacralisĂ©e de Corinthe. Cependant l’anti-hĂ©gĂ©lianisme de Pasolini veut que la vision sacrĂ©e des choses de cette nouvelle civilisation n’ait pas disparu. Deux cultures sont en opposition mais elles ne peuvent ĂȘtre rĂ©duites l’une Ă  l’autre. Un autre antagonisme se rĂ©vĂšle Ă©clairant Ă  ce propos il s’agit de celui entre MĂ©dĂ©e associĂ©e Ă  la Colchide et Jason qui va intĂ©grer Corinthe par un mariage d’intĂ©rĂȘt avec GlaucĂ©. L’hĂ©roĂŻne euripidienne est une grande prĂȘtresse ; elle dirige les grandes cĂ©rĂ©monies du dĂ©but du film. Sa vie est rythmĂ©e par les rites. Jason est celui qui vient dĂ©naturer MĂ©dĂ©e qui, par amour, va opĂ©rer une conversion Ă  rebours». Par la suite il l’abandonne car ses propres intĂ©rĂȘts le lui dictent il va Ă©pouser GlaucĂ©. Pasolini en livre d’ailleurs un portrait prĂ©cis Jason, c’est le hĂ©ros actuel la mens momentanea’ qui non seulement a perdu le sens mĂ©taphysique mais ne se pose mĂȘme plus de questions de cet ordre. C’est le technicien aboulique dont la recherche est uniquement tendue vers le succĂšs. » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 133 Mais en Jason comme en la ville de Corinthe, le sacrĂ© continue Ă  cĂŽtoyer le profane. Cette coexistence Pasolini la rend manifeste pour Jason par le biais du Centaure. Enfant il le voit comme un ĂȘtre fabuleux, mi homme, mi animal cependant sa vision se modifie avec le temps. Lorsqu’il devient adulte il ne discerne plus que l’homme. Or, en arrivant Ă  Corinthe, il a une apparition mystique, il rencontre le centaure qui l’a Ă©duquĂ© qui se dĂ©double Jason Je n’ai connu qu’un seul centaure. Le centaure profane Tu en as connu deux l’un sacrĂ©, quand tu Ă©tais enfant. L’autre, profane, une fois adulte. Le sacrĂ© reste au cotĂ© de sa forme profane. Et nous voici l’un Ă  cotĂ© de l’autre. Jason Quelle est la fonction du vieux centaure que j’ai connu enfant, dont tu as pris la place sans le faire disparaĂźtre en te substituant Ă  lui ? Le centaure profane Il ne parle pas car sa logique est si diffĂ©rente qu’on ne comprendrait pas. [
]. C’est sous son signe, qu’en rĂ©alitĂ©, en dehors de tout calcul, tu aimes MĂ©dĂ©e. [
]. » -Dialogues tirĂ©s de MĂ©dĂ©e Suite Ă  ces paroles, Jason pleure pour la premiĂšre fois dans le film ce qui fait parfaitement Ă©cho aux propos du cinĂ©aste Les barbares pleurent. C’est l’homme moderne qui prĂ©tend qu’il est indigne de pleurer. » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 114 Et cet homme barbare » n’a pas disparu en Jason. Le centaure est tout Ă  la fois l’image-idĂ©e de l’anti-dialectisme et l’intermĂ©diaire par lequel s’exprime l’auteur. Une dĂ©monstration similaire s’applique en ce qui concerne Corinthe. La thĂšse pasolinienne s’incarne cette fois-ci dans la scĂšne de la mort de GlaucĂ©. MĂ©dĂ©e lui offre une robe et une parure en signe de dĂ©tente. GlaucĂ© accepte le prĂ©sent et la revĂȘt de suite. DĂšs lors deux versions de la rĂ©alitĂ© sont soumises au spectateur. La premiĂšre voit la robe s’enflammer sous l’action d’un sort malĂ©fique. MĂ©dĂ©e apparaĂźt alors Ă  l’image en surimpression pour accroĂźtre l’angoisse qu’inspire au spectateur la sorcellerie mise en Ɠuvre par MĂ©dĂ©e. CrĂ©on tente de sauver sa fille mais il pĂ©rit Ă  son tour dans les flammes des apparats maudits. Son doublon nous prĂ©sente GlaucĂ©, anxieuse et rattrapĂ©e par sa mauvaise conscience, qui se suicide du haut des remparts et son pĂšre, accablĂ© de douleur, se jette dans le vide et s’écrase aux cotĂ©s d’elle. D’ailleurs les Ă©chos sont rĂ©currents dans MĂ©dĂ©e ; outre celui, Ă©vident, de la mort de GlaucĂ©, nous trouvons le centaure au dĂ©but du film puis Ă  la fin, le feu tuant la fille de CrĂ©on revient lors de l’incendie final ou encore le plan faisant apparaĂźtre le soleil dans l’encadrement de la fenĂȘtre de la maison de MĂ©dĂ©e Ă  la fin qui revient Ă  deux reprises
 Corinthe est la reprĂ©sentation d’une civilisation nouvelle mais la double vision de la mort de GlaucĂ© prouve qu’il n’en demeure pas moins que coexiste toujours en elle la part d’irrationnel qu’elle semblait avoir rĂ©primĂ©. Et chez Pasolini, le tragique rĂ©vĂšle cette part persistante du sacrĂ© comme dans le cas de MĂ©dĂ©e qui n’assimile pas le rationalisme de Jason. Notons que le soleil est omniprĂ©sent avant, pendant et aprĂšs l’infanticide final. On le voit Ă  plusieurs reprises dans le cadre de la fenĂȘtre ; il semble dĂ©jĂ  prophĂ©tiser le retour du sacrĂ© puisqu’il est le symbole de l’éternitĂ©. Il est au-delĂ  de la fenĂȘtre comme pour signifier l’imminence de l’acte resacralisateur » Ă  venir chez MĂ©dĂ©e. Le sacrĂ©, sur lequel la raison avait pris le pas, resurgit en elle par le biais du tragique. Pasolini veut donc briser la trinitĂ© dialectique pour mettre en exergue une sorte d’unitĂ© paradoxalement divisĂ©e deux logiques opposĂ©es en une mĂȘme personne, en une mĂȘme sociĂ©tĂ©. Cette idĂ©e prend enfin corps dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Ă  travers les Erinyes. Ce sont les dĂ©esses grecques de la vengeance. D’aprĂšs la trilogie liĂ©e d’Eschyle Agamemnon, les ChoĂ©phores et les EumĂ©nides, elles poursuivent Oreste aprĂšs qu’il a tuĂ© sa mĂšre. C’est ainsi qu’il a Ă©veillĂ© la colĂšre des Furies autre nom des Erinyes. Le fils d’Agamemnon s’en remet Ă  la protection d’AthĂ©na et grĂące Ă  elle il est jugĂ© par ses semblables. DĂšs lors la raison, personnifiĂ©e par la dĂ©esse AthĂ©na, instaure le suffrage et l’assemblĂ©e, contraignant les archaĂŻques Erinyes Ă  devenir les bienveillantes EumĂ©nides Les MalĂ©dictions se transforment en BĂ©nĂ©dictions. L’incertitude existentielle de la sociĂ©tĂ© primitive perdure comme catĂ©gorie de l’angoisse existentielle ou de l’imagination dans la sociĂ©tĂ© Ă©voluĂ©e. » Dans Portrait du poĂšte en cinĂ©aste, page 212, HervĂ© Joubert-Laurencin, Editions Seuil, Les Cahiers du CinĂ©ma, Paris, 1995 Les forces obscures que sont les Furies ne sont pas annihilĂ©es mais seulement contenues et domptĂ©es par la raison. Un Ă©tudiant interrogĂ© par Pasolini s’exprime d’ailleurs Ă  propos de la synthĂšse des Furies et des EumĂ©nides transposĂ©es dans l’Afrique des annĂ©es soixante Je ne crois pas qu’on puisse l’obtenir complĂštement. L’un existe, l’autre aussi. Ca existera toujours, parce que l’africain est fondamentalement comme ça. Il possĂšde une vie intĂ©rieure trĂšs profonde, un esprit profond [
] Il pourra se crĂ©er des EumĂ©nides sans que les Furies disparaissent. » Extrait du film Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Il rejoint ainsi la thĂšse de la coexistence anti-dialectique mise en avant par le cinĂ©aste lui-mĂȘme. En conclusion, l’auteur a rejetĂ© consĂ©cutivement l’hĂ©gĂ©lianisme et l’historicisme marxiste. En lui prĂ©vaut dĂ©sormais une vision circulaire des choses, il n’y a pas d’ Histoire » puisque la rĂ©alitĂ© est immobile ». Aucune disparition ni aucun dĂ©passement mais perduration et coexistence. Le mythe, par son caractĂšre atemporel, constitue ainsi un modĂšle exemplaire Ă©clairant Ă  la fois pour le passĂ©, le prĂ©sent et le futur. Il permet une apprĂ©hension globale et sans hiĂ©rarchie de la rĂ©alitĂ© Seuls ceux qui croient au mythe sont rĂ©alistes, et vice versa. Le mythique’ n’est que l’autre face du rĂ©alisme. » Dans DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 83. Une remise en cause du prĂ©sent peut ainsi, par le biais du modĂšle mythique, se faire jour. Chapitre 3 Les mythes grecs comme arme de contestation d’un prĂ©sent en crise » L’essence contestataire du cinĂ©ma de Pasolini nous permet d’oser un rapprochement avec le style musical free jazz ». Carnet de Notes pour une Orestie Africaine offre d’ailleurs et non sans raison une longue sĂ©quence jazzistique en studio pour reprĂ©senter la prophĂ©tie de Cassandre. Dans les annĂ©es 60, certains musiciens afro-amĂ©ricains contestent un jazz dont ils sont les acteurs mais auquel les blancs impriment leurs choix ; ils estiment en ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ©s. Le free jazz » s’immisce alors et brise les rĂšgles classiques notamment la rĂ©gularitĂ© rythmique par l’improvisation, l’absence de thĂšme mĂ©lodique
 Ce nouveau genre repousse les limites de l’exploration sonore mais il est aussi un retour aux sources, aux univers archaĂŻques ». Il se pose ainsi comme contestation de l’idĂ©ologie culturelle dominante des blancs et s’étendra aux pays du Tiers Monde » qui l’adopteront pour en faire un symbole de lutte contre l’idĂ©ologie coloniale et sa suprĂ©matie. C’est en cela que les films de Pasolini constituent une sorte de free cinĂ©ma ». Non pas le cotĂ© improvisĂ© puisque nous savons que le cinĂ©aste ne laisse aucune place Ă  l’improvisation mais le fait qu’il soit empreint de rage et vise un retour aux sources archaĂŻques et mythiques de notre civilisation. De mĂȘme que le free jazz » rĂ©veille le mythe de la musique africaine, le free cinĂ©ma » de Pasolini rĂ©veille les mythes antiques. Ses poĂšmes cinĂ©matographiques maltraitent les rĂšgles Ă©tablies pour crĂ©er davantage de sens et de profondeur il peut ĂȘtre rapprochĂ© de Godard Ă  certains Ă©gards. Sa force de subversion et de contestation tant dans la forme travail sur le montage, figures stylistiques propres au cinĂ©ma dit de poĂ©sie
 que dans le fond est comparable aux aspirations du free jazz ». Il pervertit volontairement la technique Ă  l’aide de faux raccords qui brisent la continuitĂ© filmique, de mauvais cadrages, de contre-jours
Le magma stylistique », Ă©tudiĂ© dans la premiĂšre partie, participe Ă  cet Ă©lan contestataire en ce qu’il marque une rupture avec les conventions. En mĂ©langeant les styles, le cinĂ©aste abolit en quelque sorte les frontiĂšres stylistiques. LĂ  encore il s’agit de la dimension poĂ©tique que Pasolini est soucieux d’insuffler Ă  son cinĂ©ma en tant que L’Ɠuvre poĂ©tique, en particulier, constitue toujours une entreprise contestatrice dans la mesure oĂč, enfreignant le code, elle innove par rapport Ă  lui, et par rapport au contexte social oĂč ce code est en vigueur. » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 79 Ce contexte que le cinĂ©aste abhorre c’est celui du nĂ©ocapitalisme, du scientisme dominant et de la bourgeoisie immobiliste qui Ă©tendent, selon lui, leur empire sur l’Italie et sur l’occident plus gĂ©nĂ©ralement. Il associe d’ailleurs volontiers la sociĂ©tĂ© dite de consommation Ă  une forme douce de fascisme. L’acmĂ© de cette dĂ©nonciation est sans nul doute la marchandisation des corps, plus que suggĂ©rĂ©, dans Salo ou les 120 journĂ©es de Sodome, dans lequel les jeunes prisonniers sont vouĂ©s Ă  la dĂ©shumanisation, fruit d’un lent processus sadique. Ses propos Ă  contre courant ont valu Ă  Pasolini une kyrielle de procĂšs
 Dans sa trilogie grecque, le but de Pasolini est d’utiliser la source antique pour mesurer ce prĂ©sent sur le mĂštre d’un passĂ© mythique Je prĂ©lĂšve une forme de vie du passĂ© que j’oppose de façon polĂ©mique Ă  celle du prĂ©sent. » Dans l’Europeo, 19 avril, Milan, 1974 Contrairement Ă  l’idĂ©e selon laquelle le mythe abolirait l’Histoire et serait ainsi un frein Ă  la culture occidentale du progrĂšs incessant, le cinĂ©aste Ă©pouse la thĂšse de Mircea Eliade qui affirme que le mythe est aussi Histoire. Il reprĂ©sente mĂȘme un rĂ©cit exemplaire Tout mythe, indĂ©pendamment de sa nature, Ă©nonce un Ă©vĂšnement qui a eu lieu in illo tempore’ et constitue de ce fait, un prĂ©cĂ©dent exemplaire pour toutes les actions et situations’ qui, par la suite, rĂ©pĂ©teront cet Ă©vĂšnement. » Le TraitĂ© des Religions, Mircea Eliade, Payot, Paris, 1986 Le mythe est donc un outil de remise en question du prĂ©sent et une piste pour une alternative aux orientations politico-Ă©conomiques de l’Italie des annĂ©es 60-70. Le conformisme bourgeois italien de cette Ă©poque prĂȘche notamment le renoncement religieux ; c’est le temps du rĂšgne de la raison-pragma » petite bourgeoise selon Pasolini. Et cette nouvelle tendance lui semble d’autant plus dangereuse qu’elle surpasse l’ancien fascisme dans sa facultĂ© d’unification et de desintellectualisation. Les approches complexes de la rĂ©alitĂ© religion, mythes
 sont considĂ©rĂ©es comme l’inutile pendant d’une raison qui peut tout expliquer. Le cinĂ©aste en est ainsi arrivĂ© Ă  exĂ©crer toutes les formes d’autoritĂ© qui lui sont contemporaines. Il aime Ă  Ă©tablir un lien entre cette haine des instances du pouvoir et ses relations oedipiennes irrĂ©solues avec son pĂšre. La liquidation du complexe d’ƒdipe chez Freud est ce qui fait de nous des ĂȘtres sociaux. Il permet une reconnaissance » de la loi et par consĂ©quent de l’autoritĂ© qu’elle soit celle du pĂšre ou de la sociĂ©tĂ©. En psychanalyse le pĂšre est plutĂŽt Ă  rapprocher d’une fonction que d’un vĂ©ritable rĂŽle biologique. Or le cinĂ©ma de Pasolini met en scĂšne le rejet de la figure paternelle et une rĂ©solution du complexe d’ƒdipe en suspens. La haine contre le pĂšre s’est alors TransformĂ©e en haine trans-historique, ou mĂ©ta-historique, et elle lui a fait identifier Ă  l’image paternelle tous les symboles de l’autoritĂ© et de l’ordre, le fascisme, la bourgeoisie
Il nourrit une haine viscĂ©rale, profonde, irrĂ©ductible, contre la bourgeoisie, contre sa suffisance, sa vulgaritĂ© ; une haine mythique, ou, si vous prĂ©fĂ©rez religieuse. » Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 25 Son cheminement poĂ©tique correspondrait alors Ă  la sublimation. Nous l’avons vu, cette Ă©tape figure dans l’épilogue d’ƒdipe Roi et retrace son parcours il joue dans un premier temps pour la bourgeoisie un air ancestral japonais sur les marches de l’église ; la camĂ©ra saute frĂ©nĂ©tiquement de visage en visage pour nous montrer des gens dans la rue qui ne cessent d’aller de l’avant. Ils symbolisent la bourgeoisie du Nord de l’Italie. Cette succession de piĂ©tons est comme l’incarnation cinĂ©matographique du souffle abrahamique de l’occident moderne. Ensuite ƒdipe entame une musique rĂ©volutionnaire russe adoptĂ©e par la rĂ©sistance italienne pour les ouvriers devant les usines. Enfin Pasolini/ƒdipe dĂ©passe encore ces deux pĂ©riodes pour rĂ©intĂ©grer le prĂ© maternel et se fondre dans la nature. Ce retour est l’ultime Ă©tape d’une quĂȘte du sens. En conclusion son cinĂ©ma rompt avec le scepticisme spirituel occidental toujours une rĂ©alitĂ© ? de l’époque. La noirceur poĂ©tique des films de la trilogie est un peu celle des dĂ©cadents de la fin du XIXĂšme et du dĂ©but du XXĂšme siĂšcle [
] Ma formation politique s’est faite en compagnie de dĂ©cadents’ comme Rimbaud, MallarmĂ© etc. [
] C’est simplement l’expression d’un refus, de l’angoisse devant la vĂ©ritable dĂ©cadence issue du binĂŽme Raison-pragma, divinitĂ© bifrons de la bourgeoisie. » Ibid, page 111 Pasolini semble ĂȘtre l’hĂ©ritier d’un Rimbaud, d’un Baudelaire ou d’un MallarmĂ© en ce qu’il conteste un rationalisme qui ne laisse plus de place aux aspirations spirituelles. Le dĂ©cadentisme se fait l’écho d’une nĂ©vrose face au rĂšgne du scientisme et du matĂ©rialisme. On assiste ainsi Ă  l’éclosion d’une veine poĂ©tique mĂ©lancolique et pessimiste que Paul Bourget, auteur des Essais de Psychologie Contemporaine, estime issu de Schopenhauer . Les films antiques de Pasolini et les poĂšmes dĂ©cadents ont en commun la contestation de la toute puissante raison et d’ĂȘtre empreints de mysticisme un poĂšme de Rimbaud tirĂ© d’Illuminations s’intitule d’ailleurs Mystique. Le cinĂ©ma de poĂ©sie » de l’auteur italien a Ă©galement hĂ©ritĂ© de la dimension absconse et hermĂ©tique du langage poĂ©tique propre au courant dĂ©cadent qui deviendra le symbolisme, on considĂšre aujourd’hui ce mouvement comme une sorte d’épiphĂ©nomĂšne de la DĂ©cadence – dont elle est le prĂ©curseur -. Pasolini tient enfin son refus Ă©thique du naturalisme et de son plan sĂ©quence de ce mĂȘme mouvement, qui y voyait dĂ©jĂ  le modĂšle littĂ©raire de l’objectivitĂ© rationaliste. Face Ă  la raison et son monopole de la vĂ©ritĂ© et au libĂ©ralisme ambiant, Pasolini rĂ©pond donc par la vivification des mythes et la forme poĂ©tique. Son constat semble pourtant dĂ©sabusĂ©. La GrĂšce archaĂŻque dont il parle est certes enfouie sous un occident dĂ©sacralisĂ©, seulement un manque certain de spiritualitĂ© se fait sentir. D’oĂč son intĂ©rĂȘt pour un Tiers Monde » qui le fascine en ce que la dimension spirituelle Dans le sens Ă  la fois de l’ordre de l’ñme et du religieux. y est encore vibrante. Ses trois films ouvrent ainsi une piste pour un retour au sacrĂ© ; peut-ĂȘtre faut-il, selon lui, se tourner vers l’Afrique, l’OcĂ©anie, l’AmĂ©rique du Sud ?
 Mais, lĂ  encore, il n’ignore pas que ces peuples sont Ă©galement en voie de dĂ©mocratisation, d’occidentalisation et par consĂ©quent de dĂ©sacralisation. Partie 3 Le tiers monde, dernier bastion du sacrĂ© Chapitre 1 Le parallĂšle entre le Tiers monde » et la GrĂšce archaĂŻque Seul l’homme peut rĂȘver et exprimer son rĂȘve en des Ɠuvres qui le dĂ©passent. Et dans ce domaine le nĂšgre est roi. D’oĂč la valeur exemplaire de la civilisation nĂ©gro-africaine, et la nĂ©cessitĂ© de la dĂ©crypter, pour fonder en elle un nouvel humanisme. » Phrase gravĂ©e Ă  l’entrĂ©e du Festival mondial des Arts NĂšgres en 1966, LĂ©opold SĂ©dar Senghor en est l’auteur Ces propos de LĂ©opold SĂ©dar Senghor, relevĂ©s par Malraux dans son ouvrage Intemporel, traduisent l’intĂ©rĂȘt grandissant dans les annĂ©es soixante pour les cultures du continent africain. Cet engouement pour les arts que l’on appelle communĂ©ment aujourd’hui premiers » ne s’est pas dĂ©menti depuis. En 2006 va s’ouvrir Ă  Paris un musĂ©e quai Branly consacrĂ© aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’OcĂ©anie et des AmĂ©riques. Le Louvre leur a d’ailleurs dĂ©diĂ©es de multiples expositions. Leur succĂšs a Ă©tĂ© rendu populaire depuis peu, pourtant cela fait dĂ©jĂ  plusieurs dĂ©cennies qu’ils suscitent un vif enthousiasme. Les arts non-occidentaux ont d’abord Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s sous l’impulsion d’artistes tels que Gauguin, Apollinaire ou de grands ethnologues et anthropologues comme LĂ©vi-Strauss ou Mircea Eliade. Les surrĂ©alistes s’y sont particuliĂšrement intĂ©ressĂ©s dans la logique de leur opposition Ă  la civilisation capitaliste occidentale. Il s’agit de s’ouvrir Ă  d’autres cultures auparavant dĂ©nigrĂ©es pour les assimiler Ă  l’art moderne et par consĂ©quent l’en enrichir. AndrĂ© Breton ira mĂȘme jusqu’à lancer, dans un poĂšme glorifiant l’Ile de PĂąques, que la GrĂšce n’a jamais existĂ©. ». Une maniĂšre de dire que la dĂ©couverte des arts ocĂ©aniens, africains
sonne comme un espoir de renouveau car ils tĂ©moignent d’une mythologie hautement poĂ©tique. Le fauvisme et le cubisme vont Ă©galement trĂšs largement s’en inspirer Picasso ne cache pas l’importance de cet art nĂšgre », qui a fortement influencĂ© son Ɠuvre. Les artistes fauves » au rang desquels se trouvent Matisse ou bien Vlaminck il possĂ©dait d’ailleurs sa propre collection d’objets d’arts non occidentaux Ă  l’instar d’autres artistes modernes dĂ©couvrent un nouvel univers plastique avec les arts primitifs », ce qui les mĂšne sur des voies esthĂ©tiques puissantes et inattendues. Une simplification des formes ou encore un retour aux couleurs pures font naĂźtre une peinture, expression brute du ressenti, des Ă©motions du peintre. Les expressionnistes allemands, Giacometti et d’autres encore s’abreuvent aussi de ces objets d’arts issus des autres continents; la liste n’est bien sĂ»r pas exhaustive
C’est une grande partie de l’art moderne qui est empreint de ce tribalisme artistique. En France Malraux s’en est longtemps fait le dĂ©fenseur. Il y voit un moyen de palier au dĂ©ficit spirituel du monde occidental. C’est peut-ĂȘtre dans l’ouverture Ă  ces cultures et Ă  leurs arts que se trouve l’alternative du sacrĂ© ». Ces objets d’art constituent un Ă©clairage de notre nĂ©vrose » actuelle, la voie d’une initiation Ă  un univers mythique et donc mystĂ©rieux. Pasolini s’inscrit dans cette tendance de l’art moderne. En voulant redonner vie Ă  la GrĂšce archaĂŻque par ses mythes, il instaure un rapprochement avec le Tiers Monde » et l’Afrique en particulier. L’auteur ne dissimule pas sa fascination pour les peuples non-occidentaux Alors moi, fils Ă  papa, en arrivant Ă  Rome, j’ai Ă©tĂ© stupĂ©fait, Ă©merveillĂ©, inspirĂ© par l’apparition de ce monde inconnu. Les poĂštes Ă©crivent sur les choses qui leur font une forte impression. » Dialogues entre l’acteur Ninetto Davoli et Pasolini dans le documentaire vidĂ©o Pasolini l’enragĂ© Ce monde inconnu dont parle Pasolini c’est Ă  la fois celui du sous-prolĂ©tariat » romain et celui des populations du Tiers Monde » qu’il met en parallĂšle. La part salvatrice des mythes antiques retrouve, selon lui, sa pleine expression au sein des populations du Tiers Monde » qui ont conservĂ© le sens du sacrĂ©. Chez le cinĂ©aste l’Orestie d’Eschyle prend place en Afrique Ouganda et sa capitale Kampala que Pasolini met en parallĂšle avec AthĂšnes, la Tanzanie, la ville de Kigoma, le lac Tanganyika
. ƒdipe Roi est Ă  dominante marocaine. Quant Ă  MĂ©dĂ©e et sa Colchide des origines, Pasolini y a tournĂ© la majoritĂ© des scĂšnes dans le dĂ©sert de Syrie et en Turquie. Il filme donc une GrĂšce que l’on ne s’attendait pas Ă  voir et ce afin d’esquisser des hypothĂšses et montrer l’espoir et l’attente qu’il semble placer dans les peuples non-occidentaux. Le magma stylistique », dont nous avons parlĂ© prĂ©cĂ©demment, nous montre dans quelle mesure les influences des autres continents se font jour dans son cinĂ©ma Ă  travers les dĂ©cors, les costumes, l’architecture, les bijoux
Le cinĂ©aste puise Ă  la fois dans les civilisations anciennes d’AmĂ©rique du Sud Incas, AztĂšques
 et dans celles, plus actuelles, d’OcĂ©anie, d’Afrique
 Certains Ă©pisodes de Carnet de Notes pour une Orestie Africaine font apparaĂźtre de probables Ă©chos entre l’Afrique et la GrĂšce antique l’exĂ©cution d’un soldat n’est pas sans nous rappeler le meurtre d’Agamemnon dans l’Orestie d’Eschyle. De mĂȘme, comment ne pas rapprocher les archives de la guerre du Biafra montĂ©es par Pasolini avec une autre guerre, plus ancienne cette fois-ci celle de Troie. Ce qui lie plus globalement ce Tiers Monde » Ă  la GrĂšce archaĂŻque c’est la barbarie », au sens et Ă  la majestĂ© que lui confĂšre l’auteur italien. Il s’agit alors d’un temps primordial, d’une origine des choses, une sorte d’état de nature l’homme Ă  ses prĂ©mices. Les mythes grecs que Pasolini transpose dans le Tiers Monde » sont le vecteur d’une rĂ©gression vers une rĂ©alitĂ© plus fondamentale, plus complexe et par consĂ©quent plus puissante. C’est d’autant plus vrai que lui-mĂȘme s’estime pris au piĂšge d’une condition bourgeoise qu’il ne peut supporter il est ainsi bien loin de cette innocence qui le fascine. C’est pourquoi ces peuples sont pour lui un motif d’espoir. La vie y est encore sacralisĂ©e. MĂ©dĂ©e met ainsi Ă  l’honneur des rites qui sont notamment inspirĂ©s de ceux du Tiers Monde ». Pasolini s’est pour cela grandement appuyĂ© sur les ouvrages de Mircea Eliade qui font encyclopĂ©diquement rĂ©fĂ©rence aux habitudes rituelles de plusieurs continents. Les cultes que le cinĂ©aste a dĂ©cidĂ© de mettre en exergue sont ceux rendus au soleil et Ă  la terre. Sur ce thĂšme prĂ©cis, de multiples scĂšnes coupĂ©es au montage semblent Ă  elles seules constituer le matĂ©riau d’un autre film. Une sĂ©quence rendant compte d’un rite archaĂŻque de fertilitĂ© dĂ©diĂ© au soleil a ainsi Ă©tĂ© enlevĂ©e. On y voit Maria Callas sur une imposante balançoire et le soleil qui emplit l’objectif. Les mouvements de balancier effectuĂ© par MĂ©dĂ©e lui font alterner cadre et hors cadre et rejoindre le soleil dans le mĂȘme plan pour aussitĂŽt le quitter. Le balancement paraĂźt figurer l’éternitĂ©. De plus, le soleil, dont le culte est trĂšs rĂ©pandu, symbolise le temps et le perpĂ©tuel recommencement notamment en Inde mais pas seulement, le cycle continu des morts et renaissances il se couche chaque soir pour renaĂźtre le matin. Dans ces mĂȘmes sĂ©quences coupĂ©es, on dĂ©couvre Ă©galement MĂ©dĂ©e marchant sur le toit de la maison qui fait face Ă  Corinthe avec ses enfants ; elle s’apprĂȘte Ă  partir avec le dieu Soleil dans son char et Ă  se retourner ainsi vers le sacrĂ©. Dans le film, la Colchide, oĂč se dĂ©roulent les cĂ©rĂ©monies rituelles, est trĂšs lumineuse, trĂšs solaire. Au dĂ©but de MĂ©dĂ©e, quatre jeunes garçons portent un soleil rĂ©alisĂ© en paille, blĂ©s et branchages ; ils avancent en tĂȘte du cortĂšge, de la procession. Ensuite c’est tout un lexique iconique liĂ© au soleil qui se dĂ©ploie couleur jaune, lumiĂšre aveuglante, costumes proches de ceux des Incas ou des AztĂšques dont on sait qu’ils vĂ©nĂ©raient le soleil, circularitĂ© des objets comme cette roue que tourne MĂ©dĂ©e ou encore la trace de cendres laissĂ©e par la paille qui a brĂ»lé  La terre y est sacralisĂ©e dans une mesure comparable. Le jeune homme, qui est tuĂ© et dĂ©coupĂ© en morceaux, sert un rituel de rĂ©gĂ©nĂ©ration de la terre. Chez Mircea Eliade, le but d’un tel sacrifice humain est de Fortifier et augmenter la rĂ©colte. » TraitĂ© des Religions, Mircea Eliade, page 293 Et de rĂ©gĂ©nĂ©rer La force sacrĂ©e qui est Ă  l’Ɠuvre dans les rĂ©coltes » Ibid Car L’homme primitif vit dans l’anxiĂ©tĂ© incessante de voir s’épuiser les forces utiles qui l’entourent. » Ibid Une autre sĂ©quence non retenue nous propose un autre rite effectuĂ© pour la terre c’est une copulation forcĂ©e ». Un jeune homme et une jeune femme sont dĂ©shabillĂ©s de force et doivent s’unir sur le sol aux yeux de tous. Or lĂ  aussi on trouve trace de telles pratiques chez Mircea Eliade C’est ce qui arrivait d’ailleurs en Chine, oĂč les jeunes gens et les filles s’unissaient au printemps sur la terre, convaincus que leur geste contribuait Ă  la rĂ©gĂ©nĂ©rescence cosmique en favorisant la germination universelle. » Ibid, page 299 Et il ajoute que Dans les traditions hellĂ©niques on peut Ă©galement identifier des traces de semblables mariages juvĂ©niles sur les sillons rĂ©cemment germĂ©s, l’union de DĂ©mĂ©ter et Jason Ă©tant le prototype. » Ibid, page 299 Les rites font clairement le lien entre la GrĂšce mythique et les peuples du Tiers Monde ». Ils sont destinĂ©s Ă  rĂ©affirmer sans cesse le caractĂšre sacrĂ© des choses. Carnet de Notes pour une Orestie Africaine contient Ă©galement deux grands Ă©pisodes rituels dans un premier temps, les libations pratiquĂ©es par Electre et son frĂšre. Pour cela Pasolini a demandĂ© Ă  des habitants locaux de RĂ©pĂ©ter les gestes et les paroles habituels, quand ils vont porter les offrandes et prier sur la tombe d’un proche. » Commentaires de Pasolini en voix off dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Il s’agit d’un pĂšre et de sa fille. Les rites funĂ©raires grecs ont Ă©tĂ© remplacĂ©s par des rites africains, toujours afin de faire sentir la filiation, la proximitĂ© entre les deux univers. Plus aprĂšs, Pasolini filme les danses et les chants rituels de la tribu Wa-gogo. Enfin il nous donne Ă  voir une cĂ©rĂ©monie nuptiale Ă  Dodoma dans le Tanganyika Les parures, les dĂ©marches, la danse, les gestes, les tatouages des visages sont les signes d’un ancien monde magique. » Commentaires de Pasolini en voix off dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Les pratiques sacrĂ©es abondent dans son cinĂ©ma et la plupart des cultes sont rendus Ă  la terre. Cela prouve que la proximitĂ© avec la nature attire Pasolini elle est le fait du monde paysan en voie de disparition de l’Italie du Sud, de la GrĂšce des origines et du Tiers Monde ». Peut-ĂȘtre est-ce le signe que se dessine chez lui une vĂ©ritable philosophie de la Nature ». Le thĂšme de la terre sacralisĂ©e, notamment en tant que lieu symboliquement utĂ©rin, est rĂ©current dans les trois films. Son alternative mystique induirait ainsi un rapprochement avec la nature. Sa PoĂ©sie sur un vers de Shakespeare a des accents prophĂ©tiques et se rĂ©vĂšle Ă©clairante Ă  ce sujet Et moi inadaptĂ© Ă  l’histoire, inadaptĂ© Ă  moi je m’adapterai Ă  la terre future lorsque la sociĂ©tĂ© redeviendra Nature. » PoĂ©sie sur un vers de Shakespeare, page 201, Gallimard, Paris, 1972 LĂ  encore l’intĂ©rĂȘt de l’utilisation du rĂ©cit mythique est flagrant en ce qu’il contient des implications historiques, politiques et philosophiques actuelles. Le cinĂ©aste montre que le Tiers Monde », terre mystique, est en conflit avec l’occident moderne comme MĂ©dĂ©e avec Jason ou encore l’Italie du nord industrialisĂ©e avec le Mezzogiorno » paysan du sud. Il Ă©met des hypothĂšses quant Ă  l’avenir et il place son espoir en ces peuples pour un retour au spirituel. Cependant il constate aussi que l’Afrique, notamment, est en voie de dĂ©mocratisation et donc quelque part de dĂ©naturation. Ce processus est exposĂ© dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine lorsqu’il fait un parallĂšle entre la naissance de la dĂ©mocratie grecque dans l’Orestie d’Eschyle et celle qui s’opĂšre Ă  son Ă©poque sur les continents non occidentaux. Chapitre 2 Une Orestie politique entre dĂ©mocratisation et dĂ©naturation Ecoutez Ă  prĂ©sent ma loi, citoyens de l’Attique qui jugez pour la premiĂšre fois du sang versĂ©. A l’avenir le peuple d’EgĂ©e verra toujours maintenu ce conseil de juges. [
] c’est lĂ  que le respect et la crainte sa sƓur garantiront de l’injustice les citoyens de jour comme de nuit, du moins s’ils n’introduisent pas eux-mĂȘmes des lois nouvelles [
] Ni anarchie ni despotisme- Mon conseil, que les citoyens l’observent et le respectent en veillant Ă  ne pas chasser toute crainte de la citĂ© car quel mortel, s’il ne craint rien, restera juste ? [
] Tels sont les longs avis que j’ai donnĂ©s Aux hommes de ma citĂ© pour l’avenir. Maintenant levez-vous et portez vos suffrages afin de trancher le procĂšs en observant votre serment. J’ai dit. » RĂ©plique d’AthĂ©na dans Les EumĂ©nides issue de la trilogie liĂ©e d’Eschyle, vers 681 Ă  710, pages 231-232, traduction de Daniel Loayza, Flammarion, Paris, 2001 C’est ainsi qu’AthĂ©na proclame la naissance de la dĂ©mocratie dans les EumĂ©nides d’Eschyle. De son propre aveu, ces vers ont provoquĂ© chez Pasolini une vive Ă©motion. Et, pour lui, si cette tirade semble si bien correspondre Ă  l’Afrique des annĂ©es soixante et encore Ă  celle d’aujourd’hui c’est qu’un lent processus de dĂ©mocratisation s’est amorcĂ© aprĂšs la dĂ©colonisation. L’image la plus parlante pour illustrer cette idĂ©e est celle d’Oreste, dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine, qui est contraint de s’habiller pour rejoindre la grande ville de Kigoma, qui s’occidentalise progressivement, et son universitĂ© celle de Dar-Es Salam en Tanzanie. Oreste se pare de vĂȘtements comme la sociĂ©tĂ© africaine entame une nouvelle Ăšre. Pour Pasolini cette entrĂ©e de l’Afrique et du Tiers Monde » dans la dĂ©mocratie risque de les plonger d’un colonialisme Ă  un autre. Notons que dans ThĂ©orĂšme le pĂšre de famille, bourgeois et chef d’entreprise, suit un chemin inverse de celui d’Oreste puisqu’il se dĂ©vĂȘtit aprĂšs que le sacrĂ© a investi sa vie. Ce revirement brutal est le fruit d’une visitation » d’un Ă©tranger apparentĂ© au Christ ou Ă  une quelconque figure divine. Il se dĂ©nude pour se rapprocher de la nature et communier avec elle. Sacralisation soudaine dans ThĂ©orĂšme, et inversement dĂ©naturation d’Oreste ? Pasolini met clairement en parallĂšle le cheminement, le destin » des populations d’Afrique et celui du hĂ©ros eschylĂ©en. Il souligne les risques que prĂ©sente la confrontation du Tiers Monde » avec le monde occidental. MĂ©dĂ©e s’en fait dĂ©jĂ  la figure lorsqu’elle opĂšre une conversion Ă  rebours » au contact de Jason. Il est probable que l’Afrique ne puisse faire valoir, dans une mĂȘme mesure, sa diffĂ©rence comme force novatrice possibilitĂ© d’une confrontation stĂ©rile entraĂźnant une perte d’identitĂ©. Ce danger est explicitement retranscrit dans le film lorsqu’il interroge un Ă©tudiant. Il dĂ©sire savoir Si le moyen de ne pas se laisser aliĂ©ner par le consumĂ©risme de la civilisation occidentale moderne peut consister dans le fait d’ĂȘtre africain. C’est-Ă -dire d’opposer au mode de connaissance occidental un esprit original tel que l’acquis ne se rĂ©sume pas en notions consumĂ©ristes mais reste personnel, rĂ©el. » Issu du film Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Pasolini laisse entendre par consĂ©quent la nĂ©cessitĂ© d’établir un Ă©quilibre alors qu’apparaissent de nombreux signes d’une dĂ©naturation progressive. L’école de Livingstone, de type anglo-saxonne, qu’il filme, est pour lui synonyme de dĂ©sacralisation. De mĂȘme que les livres qui emplissent les librairies des collĂšges qui rĂ©vĂšlent l’alternative [
] nĂ©ocapitaliste et anglo-saxonne. ». Autre exemple la cĂ©rĂ©monie nuptiale qui se trouve Ă  la fin du film. Elle est Ă  de nombreux Ă©gards ancestrale mais elle apparaĂźt aussi grandement europĂ©anisĂ©e ». Les rites traditionnels africains perdurent mais ils semblent, aux yeux de l’auteur, se vider de leur sens. Il Ă©voque notamment cette idĂ©e au sujet des danses tribales des Wa-gogo Dans le passĂ© [
] c’était un rite avec des significations prĂ©cises, religieuses, peut-ĂȘtre cosmogoniques. Maintenant vous voyez le peuple Wa-gogo, qui autrefois accomplissaient ces gestes pour de vrai, les rĂ©pĂšte gaiement, pour jouer, en les dĂ©pouillant de leur antique signification sacrĂ©e, comme par pur plaisir. » Commentaires en voix off de Pasolini dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Pasolini n’exclut cependant pas que la rĂ©pĂ©tition des rites exprime tout de mĂȘme une vĂ©ritable volontĂ© de prĂ©servation d’un monde magique » Magique » est Ă  prendre ici au sens de sacrĂ©, d’irrationnel Lorsqu’il expose son projet de film, Nous pouvons Ă©galement rapprocher Pasolini d’Oreste. Face Ă  l’assemblĂ©e des Ă©tudiants d’origine africaine Ă  Rome, il est, Ă  l’instar d’Oreste, face aux juges choisis par AthĂ©na. Il doit justifier sa dĂ©marche devant eux comme il aurait Ă  articuler sa dĂ©fense devant une assemblĂ©e Je crois reconnaĂźtre des analogies entre la situation de l’Orestie et l’Afrique d’aujourd’hui. Du point de vue surtout, de la transformation des Erinyes en EumĂ©nides. Il me semble que la civilisation tribale africaine ressemble Ă  la civilisation archaĂŻque grecque. La dĂ©couverte de la dĂ©mocratie par Oreste qui, ensuite, la rĂ©pandra chez lui, Argos dans la tragĂ©die, l’Afrique dans notre film est comme la dĂ©couverte de la dĂ©mocratie, dans l’Afrique de ces derniĂšres annĂ©es. » Extrait du dĂ©bat de Pasolini avec les Ă©tudiants dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine Certains voient Ă©galement poindre l’autobiographie dans cette scĂšne puisque, on le sait, la vie du cinĂ©aste a Ă©tĂ© maintes fois jalonnĂ©e de procĂšs, que ce soit pour ses romans ou pour ses films. Il serait ainsi devant les Ă©tudiants comme il l’a Ă©tĂ© devant ses propres juges tout au long de sa vie ; non pas pour avoir tuĂ© sa mĂšre mais parce qu’il a offensĂ© » son pays. DeuxiĂšmement, cela peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une mise en accusation du film lui-mĂȘme, et ce, toujours dans la logique d’une construction filmique qui n’exclut pas d’éventuelles rectifications au stade prĂ©liminaire. Montrer le processus rĂ©flexif qu’empreinte le film c’est mettre en Ɠuvre l’alternative mais pas de façon dĂ©tournĂ©e. Nous n’avons pas ce type d’informations pour MĂ©dĂ©e et ƒdipe Roi. Le problĂšme de la dĂ©sacralisation y est Ă©voquĂ© sur le mode mythique Ă  travers les personnages de Jason, MĂ©dĂ©e. C’est aussi vrai pour l’Orestie Africaine cependant il est plus explicitement liĂ© Ă  une rĂ©alitĂ©, celle du Tiers Monde ». L’autre point important qui est mis en exergue dans la citation c’est le parallĂšle central effectuĂ© entre les Erinyes devenues EumĂ©nides et l’Afrique qui lui est contemporaine. Les anciennes dĂ©esses de la terreur, de l’irrationnel se laissent convaincre par AthĂ©na de devenir bienveillantes Laisse-toi donc persuader, renonce aux vaines imprĂ©cations contre ce sol, vouant Ă  la stĂ©rilitĂ© tout ce qui porte fruit- ce germe noir, laisse dormir son amertume. Sois vĂ©nĂ©rĂ©e, viens vivre Ă  mes cĂŽtĂ©s [
]. » Les EumĂ©nides, Eschyle, vers 829 Ă  833, page 236, traduction de Daniel Loayza, Flammarion, Paris, 2001 L’Afrique doit compter avec cette part d’irrationnel ancestral sans le faire disparaĂźtre nous sommes de nouveau dans la logique pasolinienne de l’anti-dialectique autrement dit de l’unitĂ© divisĂ©e. La raison doit prĂ©venir les consĂ©quences nĂ©fastes de l’ancienne sociĂ©tĂ© primitive » tout en prenant conscience de la force productive et de la richesse qui lui est inhĂ©rente il s’agit de la dimension mĂ©taphysique et du maintien d’un imaginaire crĂ©atif. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© chez Pasolini de mesurer l’importance que revĂȘtent les mythes anciens d’un peuple. Il peut apparaĂźtre bergsonien Ă  cet Ă©gard puisqu’il pointe du doigt la fonction Ă©quilibrante des mythes face Ă  la raison Si l’intelligence menace de rompre sur certains points la cohĂ©sion sociale, et si la sociĂ©tĂ© doit subsister, il faut que, sur ces points, il y ait Ă  l’intelligence un contre poids. Ainsi s’expliquerait la fonction fabulatrice. » Dans Les deux Sources de la Morale et de la Religion, Bergson, page 124, PUF, Paris, 1997 Chapitre 3 La trilogie antique, mĂ©tonymie d’un projet ambitieux celui d’un poĂšme sur le Tiers Monde » La forme du prĂ©-film, du film Ă  faire, du cinĂ©aste Ă  l’Ɠuvre traduite notamment par la voix off fait explicitement ressortir les intentions, les idĂ©es de l’auteur, son implication. L’ appunti » est la figure du Tiers Monde » en devenir. Son inachĂšvement semble nous renvoyer Ă  la phase de construction que traverse l’Afrique. Carnet de Notes pour une Orestie Africaine fait partie d’un projet plus vaste qu’il avait entrepris sans pouvoir le mener Ă  son terme il s’agit de Appunti per un Poema sul Terzo Mondo » Notes pour un PoĂšme sur le Tiers Monde. Seuls MĂ©dĂ©e et ƒdipe Roi peuvent prĂ©tendre en ĂȘtre une forme d’aboutissement mais sur le mode mythique, pourtant ils ne sont pas inclus dans le projet mĂȘme si, incontestablement, ils en sont proches. Dans son titre dĂ©jĂ , Pasolini rejette la forme documentaire ou journalistique au profit d’une dimension poĂ©tique qui est aussi celle de son Orestie. Cette entreprise ambitieuse devait comprendre cinq volets l’Afrique, l’Inde, l’AmĂ©rique latine, les pays arabes et les ghettos noirs de l’AmĂ©rique du nord. Au-delĂ  de la diversitĂ© gĂ©ographique et des diffĂ©rences, Pasolini pense que tous ces pays sont liĂ©s par le potentiel rĂ©volutionnaire qui les habite. Il y pressent un courant neuf de civilisation et donc une alternative. Outre l’Orestie Africaine, il a dĂ©jĂ  tournĂ© des Notes pour un Film sur l’Inde en 1967-1968 rĂ©cits de voyage, les Murs de Sana’a en 1970 et a Ă©crit un scĂ©nario concernant l’Afrique le PĂšre Sauvage mais il ne sera jamais adaptĂ©, le scĂ©nario est d’ailleurs peu Ă©loignĂ© de celui de Carnet de Notes pour une Orestie Africaine puisqu’il s’agissait d’un jeune Africain qui quittait sa tribu pour rejoindre une ville moderne. DĂšs lors il prend peu Ă  peu conscience, aidĂ© en cela par un enseignant, des contradictions qu’induisent la dĂ©mocratie naissante dans son pays. Le titre original est Il padre selvaggio ».. Pour le premier, il obtient un contrat et part en repĂ©rage pour tourner ce qui sera la partie indienne du PoĂšme sur le Tiers Monde. Pasolini mĂȘle interviews, casting filmĂ©, tĂ©moignages et rĂ©flĂ©chit sur la maniĂšre d’aborder le thĂšme de la dĂ©mocratie naissante. Comme dans l’Orestie, il cherche Ă  capter les racines barbares » et sacrĂ©es du pays dans lequel il voyage. LĂ  encore transparaĂźt la nĂ©cessitĂ© de souligner la rencontre entre deux univers celui d’une Ă©poque fĂ©odale » qui perdure sous certaines formes c’est l’aspect noble de cet ancien systĂšme qui intĂ©resse Pasolini et celui que laisse entrevoir la rĂ©cente indĂ©pendance acquise par l’Inde. Il serait ensuite intĂ©ressant de nous pencher sur Les Murs de Sana’a , court documentaire visant Ă  sensibiliser l’UNESCO sur la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server l’architecture traditionnelle de Sana’a au YĂ©men du nord RĂ©alisĂ© durant le tournage du DĂ©cameron en 1971. Diverses maisons et murs, parties intĂ©grantes de l’Histoire de l’humanitĂ©, sont ainsi menacĂ©s par l’urbanisation sauvage gĂ©nĂ©rĂ©e par le capitalisme naissant l’abandon en fait progressivement des ruines. Il s’agit toujours pour Pasolini de mettre en avant un passĂ©, figure d’une diffĂ©rence, et qui porte en lui un souffle rĂ©volutionnaire. Cette brĂšve rĂ©alisation prĂ©figure Paesi Arabi Partie sur les pays Arabes. Les trois autres versants du grand projet tiers mondiste » n’ont pas atteint le stade d’ appunti ». Ils sont restĂ©s des Ă©bauches diversement dĂ©veloppĂ©es. La parenthĂšse free jazz » enregistrĂ©e Ă  New York dans l’Orestie trahit l’intĂ©rĂȘt de Pasolini pour la situation des Afro-amĂ©ricains dans les ghettos. L’épisode qu’il voulait tourner devait s’intituler Ghetti del Nord America le film aurait racontĂ© la vie de Malcolm X, dont le rĂŽle serait interprĂ©tĂ© par une personnalitĂ© noire engagĂ©e de l’époque. Et les quelques bribes Ă©crites qui ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es paraissent centrer le sujet sur le drame du racisme aux Etats-Unis Ă  cette Ă©poque ainsi que les multiples consĂ©quences qu’il a gĂ©nĂ©rĂ© violence, ghettoĂŻsation, replis identitaire
 La partie sud amĂ©ricaine est quant Ă  elle embryonnaire voire quasiment inexistante au contraire de celle consacrĂ©e aux pays arabes Paesi Arabi. Pasolini dĂ©sirait prendre un acteur qui interprĂ©terait Ă  la fois un juif et un arabe. Voici ce que le scĂ©nario prĂ©cise En fait, le jeune IsraĂ©lien cultivĂ© et jeune Arabe analphabĂšte sont une seule et mĂȘme personne. Un mĂȘme garçon, mort pour des raisons historiques dont la disproportion avec l’éternitĂ© n’a aucune justification. » Pasolini Portrait du poĂšte en cinĂ©aste, HervĂ© Joubert-Laurencin, Editions Seuil, Les Cahiers du CinĂ©ma, 1995, Paris Le cadre temporel devait ĂȘtre celui de la Guerre des Six Jours. Pasolini souhaitait Ă©voquer les drames imputables au nationalisme pour, ensuite, en offrir un dĂ©passement Ă  l’écran en faisant poindre sous l’homme attachĂ© Ă  une nation l’homme universel, apatride. Ce travail a eu en quelque sorte un prĂ©cĂ©dent avec RepĂ©rages en Palestine pour L’Evangile selon St Mathieu ». Il devait y tourner L’Evangile qui finalement se dĂ©roulera au sud de l’Italie ; le documentaire se dĂ©tourne du film pour faire dĂ©couvrir un univers entre prĂ©histoire » et modernitĂ©, l’opposition tragique entre juifs et arabes qui pose les bases Ă  la fois du projet sur Saint Paul et de celui de Paesi Arabi. Tous ces films et ces documents rĂ©vĂšlent la large rĂ©flexion entamĂ©e par le cinĂ©aste sur un sujet qui l’est tout autant. Pourtant plusieurs raisons expliquent que son projet ne soit pas allĂ© Ă  son terme son ampleur d’abord, mais Ă©galement le scandale qu’il aurait fait naĂźtre l’ont contraint Ă  le diffĂ©rer. Pasolini s’en explique dans DerniĂšres Paroles d’un Impie Il est bien Ă©vident qu’un tel sujet n’appelle pas un traitement de tout repos, sur le plan idĂ©ologique et politique. Je pense que pour les marxistes officiels certaines vĂ©ritĂ©s n’auraient pas Ă©tĂ© bonnes Ă  entendre. MĂȘme les contestataires y auraient trouvĂ© matiĂšre Ă  polĂ©mique. Je crois mĂȘme qu’il eĂ»t Ă©tĂ© facile, sur un tel sujet, de s’ériger en redresseur de torts. » Dans Les DerniĂšres Paroles d’un Impie, page 140 Il ne reste donc de cette grande entreprise que des notes fragmentaires ou des Ă©bauches de scĂ©narios mais l’idĂ©e en soit n’est-elle plus importante que son aboutissement ? Conclusion Le mythe est chez Pasolini une solution symbolique Ă  un conflit existant ou Ă  un prĂ©sent qu’il juge dĂ©faillant ». Le problĂšme majeur que soulĂšvent les films de la trilogie est celui du manque de spiritualitĂ© qui touche l’occident et en particulier l’Italie qui lui est contemporaine. Dans la premiĂšre partie nous avons vu que les mythes grecs, de par leur essence mĂȘme, rĂ©tablissent les individus dans une Ă©ternitĂ© ontologique. Il sagit pour Pasolini de montrer la complexitĂ© mais aussi l’invariabilitĂ© de certaines donnĂ©es psychiques. En somme, il dĂ©sire faire sentir la part de sacrĂ© qui est inhĂ©rent Ă  chaque ĂȘtre. Il devient dĂšs lors possible d’en dĂ©noncer l’absence. Le mythe revĂȘt Ă©galement une dimension collective ou sociĂ©tale en tant qu’ histoire exemplaire ». Il est une arme de contestation, d’interrogation et de remise en cause d’un prĂ©sent que le cinĂ©aste italien pense ĂȘtre dĂ©sĂ©quilibrĂ©. Pour lui l’occident moderne ne laisse plus de place Ă  l’intuition, Ă  la dimension mĂ©taphysique et donc au sacrĂ©. Cette sociĂ©tĂ© techniciste qui occulte l’ñme est incarnĂ©e Ă  l’écran par Jason ou la ville de Corinthe. Pasolini souligne qu’elle a choisi d’idolĂątrer paradoxalement ? le rationalisme qu’elle Ă©rige en modĂšle incontestable. Or, Ă  travers ses films grecs », l’auteur s’évertue Ă  dĂ©montrer qu’il est vain de croire que la raison, la science sont les seuls accĂšs Ă  la connaissance. Dans une mesure plus grande encore, il rejette le nĂ©o-capitalisme qui, selon lui, est fascisant et mortifĂšre. Il considĂšre que ce systĂšme est dĂ©favorable Ă  un retour du sacrĂ©, en ce qu’il ne vĂ©hicule que des valeurs bourgeoises sclĂ©rosĂ©es et qu’il fait fi de tous les obstacles religieux ou moraux pour Ă©tendre son empire. Le mythe est la figure mĂȘme de sa pensĂ©e puisque Pasolini ne croit plus en l’histoire mais en un temps cyclique, un Ă©ternel retour du mĂȘme ou de l’autre. D’oĂč son rejet du scientisme, de la dialectique hĂ©gĂ©lienne et plus tard de l’historicisme marxiste. Enfin la trilogie, par le biais de son appunti » central, laisse entrevoir que la voie d’une resacralisation salvatrice peut encore se faire jour. Ce changement pourrait s’effectuer Ă  la faveur des continents non-occidentaux. Il voit en l’Afrique la survivance d’une civilisation des origines proche de celle de la GrĂšce mythique. Et ce dernier bastion du sacrĂ©, du mystique, constitue la vĂ©ritable alternative pour Pasolini. Le Tiers Monde » est, de fait, un objet de fascination pour lui. Cependant son espoir se double d’un constat parfois dĂ©sabusĂ©. En effet, dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine, l’Afrique se retrouve confrontĂ©e Ă  un dĂ©fi le face Ă  face avec la sociĂ©tĂ© occidentale moderne, subsĂ©quent Ă  la conquĂȘte de l’indĂ©pendance, pourrait entraĂźner une dĂ©naturation risque d’uniformisation, de fusion stĂ©rile. Pasolini voit l’existence comme une rĂ©sistance culturelle et c’est sans nul doute son souhait pour un Tiers Monde » qui peut faire valoir un autre modĂšle de vie. Son Orestie Africaine devait d’ailleurs faire partie d’un grand ensemble intitulĂ© Notes pour un PoĂšme sur le Tiers Monde. Il comprenait cinq parties correspondant Ă  des pays diffĂ©rents pour Ă  la fois souligner la divergence de leurs problĂšmes mais aussi ce qui faisait aussi leur unitĂ© un souffle nouveau de civilisation. Le passĂ© mythique est, paradoxalement seraient tentĂ©s de renchĂ©rir ses dĂ©tracteurs, visionnaire pour Pasolini. Cette prise de position Ă  contre-courant lui vaudra d’ĂȘtre souvent qualifiĂ© de passĂ©iste ou nostalgique or de tels propos restent infiniment rĂ©ducteurs. Certes on pourrait reprocher Ă  Pasolini de cultiver parfois l’art de la contradiction mais sa pensĂ©e n’en demeure pas moins riche et complexe. Il se fait l’ñpre dĂ©fenseur d’une alternative spirituelle dans un monde qu’il juge en crise. Il rejoint ainsi une frange de plus en plus vaste d’artistes, de philosophes ou de thĂ©ologiens qui espĂšrent ou prophĂ©tisent un retour du sens du sacrĂ©, porteur de nouveaux horizons tant individuels que collectifs. Cette pĂ©riode du cinĂ©ma de Pasolini les films grecs est particuliĂšrement sombre. C’est probablement pourquoi il tournera la Trilogie de la vie immĂ©diatement aprĂšs, au dĂ©but des annĂ©es 70, comme pour se dĂ©charger d’un poids. Son Ɠuvre prendra pourtant fin sur une nouvelle note pessimiste en 1975 Salo ou les 120 journĂ©es de Sodome, son dernier film mais aussi le plus noir, le plus dĂ©sabusĂ© et le plus scandaleux. Bibliographie 1. L’ExpĂ©rience hĂ©rĂ©tique, Pier-Paolo Pasolini, Payot, collection Trace, Paris, 1976. 2. L’Image-Mouvement, Gilles Deleuze, collection critique », Les Editions de Minuit, Paris, 1983. 3. L’Image-Temps, Gilles Deleuze, collection critique », Les Editions de Minuit, Paris, 1985. 4. TragĂ©dies complĂštes d’Euripide, traduites par Marie Delcourt-Curvers, Editions Gallimard, 1962. 5. TragĂ©dies complĂštes de Sophocle, traduction de Paul Mazon, Gallimard, 6. L’Orestie d’Eschyle, traduction de Daniel Loayza, Flammarion, Paris, 2001. 7. Pasolini ou le mythe de la barbarie, Fabien S. GĂ©rard, Les Editions de l’UniversitĂ©, Bruxelles, 1981. 8. Pier-Paolo Pasolini, Piero Spila, collection cinĂ©astes de notre temps, Gremese, Rome, 2001. 9. Pier–Paolo Pasolini qui ĂȘtes-vous ?, Alain-Michel Boyer, La Manufacture, Lyon, 1987. 10. Les derniĂšres paroles d’un impie entretiens avec Jean Duflot, Pier-Paolo Pasolini et Jean Duflot, Paris, 1981. 11. Pasolini portrait du poĂšte en cinĂ©aste, HervĂ© Joubert-Laurencin, Ă©ditions Seuil, Les Cahiers du CinĂ©ma, Paris, 1995. 12. TraitĂ© d’histoire des religions, Mircea Eliade, Payot, Paris, 1986. 13. Les thĂ©ories des cinĂ©astes, Jacques Aumont, collection Nathan cinĂ©ma, Paris, 2002. 14. La Naissance de la TragĂ©die, Nietzsche, traduction de Marc Buhot de Launay, MichĂšle Cohen-Halimi et Marc CrĂ©pon, Gallimard, Paris, 2000. 15. Pasolini l’enragĂ© documentaire vidĂ©o sur Pier-Paolo Pasolini. 16. Ecrits corsaires, Pier-Paolo Pasolini, traduction de Philippe Guilhon, Flammarion, Paris, 1976. 17. Les films de Pier-Paolo Pasolini, Martine Boyer et Muriel Tinel, Dark Star, Paris, 2002. 18. Psychanalyse et exĂ©gĂšse tome 1, Eugen Drewermann, traduit de l’allemand par Denis Trierweiler, Ă©ditions du seuil, Paris, novembre 2000. 19. MĂ©dĂ©e, Pier-Paolo Pasolini, traduit de l’italien par Christophe Mileschi, ArlĂ©a Ă©dition originale Garzanti editore en 1970, Paris, Mars 2002. 20. Du RĂ©alisme au CinĂ©ma, BarthĂ©lĂ©my Amengual, Nathan, Paris, 1997. 21. Critias, Platon, traduction de Michel Patillon et Luc Brisson, Flammarion, Paris, 1992. 22. Anthropologie Structurale, LĂ©vi-Strauss, Presses Pocket Agora, Paris, 1985. 23. Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, Henry Bergson, PUF, Paris, 1997. 24. Mythologie primitive, LĂ©vy-Bruhl, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1963.
Cesquelques mots que le personnage de À nos amours a pour le peintre hollandais l’aident Ă  illustrer un peu (Sandrine Bonnaire), encore libre, arrive Ă  Ă©chapper Ă  l’Ɠil du pĂšre et lui donne un dernier moment de joie avant de le laisser seul. Police (1985) et Sous le soleil de Satan (1987) suivront À nos amours, mais Maurice Pialat pense peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  Ă  Van Gogh lorsqu Le studio Ghibli est le fruit du travail de nombreuses personnes dont les plus cĂ©lĂšbres restent encore aujourd’hui Hayao Miyazaki, dit le dieu vivant de l’animation, et Isao Takahata. Il s’agit d’un des studios d’animation les plus connus au monde, avec un logo reconnaissable entre tous puisqu’il met en avant le personnage de Totoro, le Mickey Mouse japonais ! Construit dans les annĂ©es 1980 par ces deux grands cinĂ©astes, le studio ne produit que des succĂšs depuis plus de trente ans ! Au cƓur du steampunck et de la nature Hayao Miyazaki Hayao Miyazaki lors du festival international du film d’animation de Venise en 2008. Wikimedia Commons, photo de Thomas Schulz / Flickr. Il est indĂ©niable que le succĂšs actuel du studio et des films revient avant tout au cinĂ©aste Hayao Miyazaki, dont la patte artistique a bercĂ© de nombreux enfants et continue de faire rĂȘver. Ayant commencĂ© chez la Toei, le studio japonais derriĂšre Dragon ball, il dĂ©veloppe trĂšs vite son art, et, avec l’aide de son collĂšgue Isao Takahata, continue de progresser dans le monde de l’animation. L’un des films ayant permis la mise en marche du studio Ghibli » a Ă©tĂ© NausicĂ€a de la vallĂ©e du vent. VĂ©ritable ode Ă  la nature et au respect de cette derniĂšre, ce film met en avant les quelques rĂšgles qui rĂ©giront l’ensemble de sa filmographie par la suite. Cela fait de Miyazaki pĂšre un authentique auteur. Le tout premier film signĂ© Ghibli est Le chĂąteau dans le ciel, sorti en 1986 au Japon. Il a fallut attendre 17 ans pour le voir arriver en France ! Il raconte les mĂ©saventures de Shiita et de son ami Pazu, qui doivent rejoindre l’üle lĂ©gendaire de Laputa. Un pur hommage aux Voyages de Gulliver ! Ce film met l’accent sur l’importance des personnages fĂ©minins et des enfants, qui rĂ©apparaissent dans toutes les productions de Miyazaki pĂšre. Tout comme dans NausicĂ€a, la nature prend une grande place dans ce rĂ©cit, des plans entiers du film Ă©tant laissĂ©s au ciel et aux plaines traversĂ©s au cours de l’aventure. Le monde de l’aviation si cher Ă  Hayao est ici directement mis en avant par le voyage en dirigeable et le style steampunck du chĂąteau volant. Cette uchronie se retrouve aussi dans NausicĂ€a, mais encore et surtout dans l’un des plus grands succĂšs du studio, Le chĂąteau ambulant. Mais avant de rencontrer la magie de Haru et de Mamie Sophie, Hayao Miyazaki a fait rĂȘver les enfants avec son personnage emblĂ©matique, Totoro. Mon voisin Totoro, sorti au Japon en 1988, met en avant deux hĂ©roĂŻnes des plus attachantes. ArrivĂ©es Ă  la campagne avec la promotion de leur pĂšre, les jeunes filles vont pouvoir s’évader lorsqu’une mystĂ©rieuse crĂ©ature fait son apparition dans leur vie. C’est l’un des films parmi les plus enfantins et Ă©mouvant du rĂ©alisateur. Comme beaucoup de protagonistes, Satsuki est ici la jeune fille devant passer Ă  l’ñge adulte », l’un des thĂšmes les plus rĂ©currents de la filmographie du rĂ©alisateur. Ecologie, rĂȘve et enfant-adulte, voici ce qui constitue l’art d’Hayao Miyazaki. Quand le conte cĂŽtoie la vie quotidienne Goro Miyazaki Goro Miyazaki. Photo prise par canburak / Flickr. Le talent et la maĂźtrise du paternel doivent forcĂ©ment se retrouver chez Goro Miyazaki, non ?! Pas forcĂ©ment. En effet, le jeune cinĂ©aste n’a pas toujours travaillĂ© dans l’animation. Jeune, il ne se destine absolument pas Ă  suivre les traces de son pĂšre. Il Ă©tudie en effet les sciences de l’agriculture et de la forĂȘt, et se destine alors Ă  ĂȘtre paysagiste ou architecte. Puis, il se rapproche des studios quand il conçoit le musĂ©e Ghibli dont il devient le directeur gĂ©nĂ©ral en 2001. Toshio Suzuki, le producteur en chef du studio, contacte Goro pour qu’il fasse le story-board des Contes de Terremer. Il voit en lui un potentiel hĂ©ritier Ă  Hayao. Miyazaki pĂšre n’est absolument pas du mĂȘme avis ! Les deux se disputent souvent lors de la conception du projet. Toutefois, Toshio a le dernier mot et Goro peut enfin commencer la rĂ©alisation du film. Son amour pour les paysages se retrouve entiĂšrement dans son film chaque aplat de couleur vient donner vie Ă  la sĂ©rie de romans d’Ursula le Guin. C’est cependant un Ă©chec la beautĂ© de ce long-mĂ©trage n’a pas su ĂȘtre Ă  la hauteur des espĂ©rances des spectateurs. Pire ! L’autrice ne reconnaĂźt pas son oeuvre dans ce film
 C’est une vĂ©ritable douche froide pour le jeune rĂ©alisateur. Était-ce trop dur pour lui de suivre les pas de son pĂšre ? Pouvait-il insuffler de sa personne dans un autre film ? Ces questions n’ont pas trouvĂ© de rĂ©ponse pendant quelques annĂ©es. Pourtant, il est indĂ©niable que les paysages bucoliques des Contes de Terremer font Ă©cho au travail de son pĂšre, mais aussi Ă  ses Ă©tudes, et donc Ă  sa propre expĂ©rience de paysagiste. Son second film prend pourtant un tout autre chemin. S’éloignant totalement du fantastique, La Colline aux coquelicots est l’adaptation d’un shojo manga. L’histoire prend place peu de temps avant les jeux olympiques de Tokyo de 1964. L’hĂ©roĂŻne, Umi, fait la connaissance d’un camarade de classe, Shun Kazama ; tous deux tombent peu Ă  peu amoureux. Pourtant, un secret va trĂšs vite se dresser dans cette idylle
 Goro nous transporte cette fois-ci dans son propre univers, alliant Ă  la fois le rĂȘve et la rĂ©alitĂ©. Il confirme alors aux yeux du monde et Ă  son propre paternel qu’il est un vĂ©ritable cinĂ©aste, ayant son propre style. L’entrĂ©e du musĂ©e Ghibli. Wikimedia Commons, photo de æ°·é·ș. Un bel avenir se profile pour la suite du studio Ghibli avec Goro, le nouveau venu Hiromasa Yonebayashi et les futurs films de Hayao. Pourtant, Ghibli c’est aussi Isao Takahata, ainsi que d’autres noms moins connus comme Yoshifumi Kondo, qu’il serait intĂ©ressant de mettre en avant bientĂŽt ! Image Ă  la une Le monde merveilleux d’Hayao Miyazaki, image de macnier / Flickr. Pour en savoir plus La fiche AllocinĂ© sur Hayao MiyazakiLa fiche AllocinĂ© sur Goro MiyazakiLe blog Studio Ghibli FranceL’article de sur Goro Miyazaki MauricePialat, peintre et cinĂ©aste. Depuis le 20 fĂ©vrier et jusqu’au 4 mars la CinĂ©mathĂšque française montre tous les films de Maurice Pialat. Cette rĂ©trospective est accompagnĂ©e d’une exposition qui permet de dĂ©couvrir les toiles et dessins de Pialat, qui fut peintre avant d’ĂȘtre cinĂ©aste durant la premiĂšre pĂ©riode Depuis le 20 fĂ©vrier et jusqu’au 4 mars la CinĂ©mathĂšque française montre tous les films de Maurice Pialat. Cette rĂ©trospective est accompagnĂ©e d’une exposition qui permet de dĂ©couvrir les toiles et dessins de Pialat, qui fut peintre avant d’ĂȘtre cinĂ©aste durant la premiĂšre pĂ©riode artistique de sa vie de 1942 Ă  1946. Un beau livre, Maurice Pialat peintre et cinĂ©aste Ă©ditions Somogy / CinĂ©mathĂšque française, Ă©crit par Serge Toubiana, porte un regard juste et Ă©clairant sur l’Ɠuvre et la carriĂšre de l’un des plus importants cinĂ©astes français. Tout Pialat c’est immense et pas assez en mĂȘme temps. On le sait Pialat a signĂ© son premier long mĂ©trage tard, Ă  plus de quarante ans, aprĂšs avoir voulu ĂȘtre peintre et signĂ© des courts mĂ©trages pour le cinĂ©ma et la tĂ©lĂ©vision. L’Enfance nue 1968 est un film magnifique, l’un des plus justes et le plus dĂ©chirant consacrĂ© Ă  l’enfance, cet Ăąge oĂč naĂźt l’apprĂ©hension au monde et le rapport aux autres, rapport qui sera toujours aussi douloureux et intense dans la vie et l’Ɠuvre de Pialat. L’Enfance nue n’est pas Ă  proprement parler un film autobiographique, mais c’est un incipit qui Ă©claire tout le travail de Pialat, jusqu’à trouver sa conclusion logique avec son ultime long mĂ©trage Le Garçu. Ainsi la vie du cinĂ©aste nourrira sa filmographie d’une maniĂšre douloureuse et presque masochiste description d’une relation et d’une rupture Nous ne vieillirons pas ensemble, 1972, mort de la mĂšre La Gueule ouverte, 1974, histoire de dĂ©sir et d’adultĂšre Loulou, 1980, souvenirs d’adolescence d’Arlette Langmann, scĂ©nariste et ancienne compagne de Pialat A nos amours, 1983. Passe ton bac d’abord 1978 chronique dĂ©senchantĂ©e de la vie de jeunes des milieux populaires dans le Nord de la France, peut paraĂźtre moins personnel, moins nĂ©cessaire malgrĂ© sa rĂ©ussite. Il est en gĂ©nĂ©ral moins commentĂ© et citĂ© que les autres films du cinĂ©aste. L’approche sans concessions du cinĂ©ma n’a pas empĂȘchĂ© Pialat de cĂŽtoyer le star system français dĂšs son deuxiĂšme film, Nous ne vieillirons pas ensemble. Jean Yanne choisi pour sa ressemblance physique avec le cinĂ©aste et MarlĂšne Jobert acceptent tant bien que mal de travailler dans des conditions beaucoup moins confortables que les productions commerciales dans lesquelles ils ont l’habitude d’apparaĂźtre. Huit ans plus tard, Pialat rĂ©unit deux jeunes vedettes qui sont aussi et sans conteste les acteurs les plus talentueux de leur gĂ©nĂ©ration Isabelle Huppert et GĂ©rard Depardieu. Depardieu et Pialat travaillent pour la premiĂšre fois ensemble en 1980 avec Loulou, rĂ©cit autobiographique dans lequel le cinĂ©aste met en scĂšne un Ă©pisode douloureux de sa vie. Un homme, AndrĂ©, est trompĂ© par sa compagne, Nelly, qui part vivre avec un petit voyou sympathique, Loulou. Nelly tombera enceinte, se fera avorter et finira par quitter Loulou pour retrouver AndrĂ©. Une histoire simple, dans la lignĂ©e de Nous ne vieillirons pas ensemble, qui place une fois de plus la lutte des classes sur le terrain amoureux. AndrĂ© et Nelly appartiennent Ă  un milieu aisĂ© et intellectuel, tandis que Loulou est un chĂŽmeur vivant de larcins, un loubard des faubourgs. L’attirance entre Nelly et Loulou est purement sexuelle, elle ne mĂšnera nulle part et se conclura par un Ă©chec. Pialat choisit Guy Marchand pour jouer AndrĂ© transposition du cinĂ©aste Ă  l’écran, Isabelle Huppert et GĂ©rard Depardieu, stars montantes du cinĂ©ma français, seront Nelly et Loulou. Sur le tournage, ce ne sera pas l’entente cordiale entre Pialat et Depardieu. Le cinĂ©aste malmĂšne l’acteur, lui reproche d’ĂȘtre paresseux, pas assez professionnel. Depardieu donne l’impression de ne pas jouer, d’ĂȘtre vraiment Loulou, avec un naturel qui l’on retrouve chez les comĂ©diens amateurs que Pialat aime frĂ©quemment employer. Heureusement, Depardieu saura pardonner l’agressivitĂ© de Pialat qui ne s’épargne rien en consacrant un film Ă  l’amant de la femme qu’il a aimĂ©. Ils se retrouveront pour Police, cinq ans plus tard, et l’admiration entre les deux hommes est dĂ©sormais totale. AprĂšs le couple, la famille. Une fille et son pĂšre, une actrice dĂ©butante et son rĂ©alisateur, Ă©galement acteur. Sandrine Bonnaire et Maurice Pialat dans A nos amours. PortĂ© par une distribution de vedettes qui sont aussi des champions du box office français Depardieu, Sophie Marceau, Richard Anconina, Police est un film qui dĂ©sire Ă©largir le public de Maurice Pialat, et qui y parviendra. Ce sera le plus grand succĂšs commercial du cinĂ©aste. Le genre policier est en effet une valeur sĂ»re, rĂ©guliĂšrement frĂ©quentĂ© par la plupart des meilleurs auteurs français de Renoir Ă  Melville en passant par les cinĂ©astes de la Nouvelle Vague. Pourtant, on s’en doute, Police de Maurice Pialat n’est pas un polar comme les autres, mĂȘme s’il en respecte certaines conventions. La premiĂšre partie est centrĂ©e autour de scĂšnes d’interrogatoires, qui montrent la routine, la violence banale du mĂ©tier de flic et des rapports de force entre suspects et policiers, faits de brutalitĂ©s et de mensonges. Dans le rĂŽle de Mangin, Depardieu est magnifique. C’est l’une de ses interprĂ©tations les plus subtiles. D’abord grossier, sĂ»r de lui, il laisse peu Ă  peu apparaĂźtre une complexitĂ© insoupçonnable, quand le film s’intĂ©resse Ă  sa vie en dehors du commissariat, et dĂ©voile une fragilitĂ© et une solitude bouleversantes son regard dans le dernier plan du film, lorsqu’il a Ă©tĂ© trahi par Noria, la jeune femme qu’il a eu la faiblesse d’aimer. Sous le soleil de Satan 1987 est le premier film Ă  costumes si l’on excepte le magnifique feuilleton pour la tĂ©lĂ©vision La Maison des bois en 1971, qui est peut-ĂȘtre le meilleur Pialat parce que c’est le plus long et la premiĂšre adaptation littĂ©raire dans l’Ɠuvre de Maurice Pialat. En dĂ©cidant de porter Ă  l’écran le roman de Georges Bernanos, Pialat espĂšre peut-ĂȘtre, aprĂšs les succĂšs publics et critiques de À nos amours et Police accĂ©der Ă  une forme de reconnaissance professionnelle dĂ©finitive. Au-delĂ  de l’orgueil de l’artiste Ă  dĂ©passer la routine de ses sources d’inspiration l’autobiographie, le rĂ©alisme quotidien, le couple, et Ă  se confronter pour la premiĂšre fois Ă  des domaines Ă©trangers et Ă  hauts risques la reconstitution historique, le sujet religieux, Bernanos, Pialat ne dĂ©vie pas de sa quĂȘte de la vĂ©ritĂ© et cherche quelque chose de plus profond que le dĂ©paysement ou l’anoblissement. Ne s’agit-il pas, pour un cinĂ©aste qui a souvent filmĂ© la destruction, la catastrophe et le malheur, sous un angle trivial, de parvenir grĂące Ă  une Ɠuvre littĂ©raire majeure Ă  l’origine de ses prĂ©occupations ? MalgrĂ© son athĂ©isme, Pialat rejoint Bernanos dans sa vision trĂšs noire d’une humanitĂ© rongĂ©e par la faute et le Mal. Il a dĂ©jĂ  enregistrĂ©, dans Police, l’histoire d’une chute et un cheminement vers la GrĂące. CinĂ©aste du rĂ©el, Pialat prend ici le risque de se mesurer Ă  la transcendance, au sacrĂ©, au fantastique, mais aussi Ă  deux cinĂ©astes admirĂ©s ils ne sont pas lĂ©gion Dreyer et Bresson. Sous le soleil de Satan n’emprunte pourtant pas le chemin Ă©troit tracĂ© par Bresson. Pialat Ă©lague Ă©normĂ©ment au montage, songe Ă  ne pas inclure la rencontre de Donissan avec le Diable. Elle est finalement dans le film, sublime, dissonante. TentĂ© par l’épure, Pialat ne renonce pas pour autant Ă  son comĂ©dien d’élection GĂ©rard Depardieu, qui parvient Ă  ĂȘtre crĂ©dible, malgrĂ© sa personnalitĂ© envahissante et ses kilos en trop, en curĂ© de campagne maladif. Comme Ă  son habitude, il filme une star et une actrice de son invention, l’incandescente Sandrine Bonnaire, entourĂ©es de comĂ©diens non professionnels ou occasionnels le monteur Yann Dedet, avec des rĂ©sultats admirables. Il n’y a pas dans Sous le soleil de Satan les petits faits vrais, les paroles vaches ou les digressions narratives qui plaisent tant aux amateurs de naturalisme cinĂ©matographique. Le film est constituĂ© de blocs denses, les dialogues comptent parmi les plus beaux – et littĂ©raires – du cinĂ©ma français contemporain. Pialat Ă©vacue l’anecdotique et cisĂšle un soleil noir dont le pessimisme radical – celui de Bernanos, le sien – Ă©claire et Ă©crase les films prĂ©cĂ©dents. Le cinĂ©aste, dans le rĂŽle de Menou-Segret, mentor de Donissan, exprime au travers de son personnage des sentiments intimes, sur la peur de la vieillesse, la mĂ©fiance vis-Ă -vis de la sagesse un vice de vieillard », l’attente terrible de la mort enfin. Sous le soleil de Satan obtient la Palme d’or au Festival de Cannes en 1987. NeuviĂšme et avant-dernier long mĂ©trage de Maurice Pialat, Van Gogh 1991 ressemble au film d’une vie. Le cinĂ©aste de L’Enfance nue rĂ©ussit avec ce portrait du peintre Ă  ressusciter un monde Ă©teint. Ce film Ă  costume Ă©chappe totalement Ă  l’impression de reconstitution ou d’acadĂ©misme. Van Gogh parle des relations entre les hommes et les femmes, de la famille, de l’art et de la France, de l’appĂ©tit sexuel. Autant de sillons que Pialat, peintre devenu cinĂ©aste, artiste incommode du cinĂ©ma français, a implacablement creusĂ©s de film en film. Rejoignant Ford Le Massacre de Fort Apache citĂ© dans la scĂšne de bal et Renoir dans son souci du vrai et son lyrisme discret, Pialat ne nous a jamais paru aussi prĂ©sent et intime que dans cette biographie filmĂ©e qui fait oublier toutes les autres. Van Gogh s’attache Ă  montrer les derniers jours d’un artiste cĂ©lĂšbre, mais c’est tout autant le portrait d’un homme en fin de parcours et une radioscopie de la sociĂ©tĂ© française et de ses classes, du souvenir encore douloureux des tueries de la Commune, Ă©voquĂ©es avec beaucoup d’émotion Ă  deux reprises dans le film. Comme il lui est reprochĂ© dans le film, Van Gogh n’est pas sympathique ». Il vit une relation ombrageuse avec son frĂšre ThĂ©o, sans doute jaloux de son gĂ©nie, Ă  qui il reproche de laisser dormir ses toiles. Il fustige la critique, les commerçants d’art et ses contemporains. En revanche, il apprĂ©cie la compagnie des paysans et des petites gens, mais aussi des filles de joie dans les bordels, Ă  la ville ou la campagne. Marguerite Gachet, la fille de son mĂ©cĂšne le docteur Gachet, amoureuse de Van Gogh, dira au dĂ©but du film qu’il est difficile de faire simple. On est tentĂ© d’appliquer cette maxime au cinĂ©ma de Pialat. Conçu dans la souffrance et la colĂšre, fruit d’un tournage Ă©maillĂ© de nombreux incidents et conflits, Van Gogh est un chef-d’Ɠuvre oĂč se succĂšdent les moments de dĂ©sespoir et de douceur, les plages de bonheur le dĂ©jeuner dominical chez les Gachet, de sensualitĂ© et d’abandon la nuit au bordel avec les moments de doute et de violence. Pialat atteint au pictural sans jamais sombrer dans le pittoresque, au naturel en Ă©vitant les Ă©cueils du naturalisme. Jacques Dutronc est trĂšs bon mais on ne peut s’empĂȘcher de penser Ă  tout ce qu’aurait pu faire et donner GĂ©rard Depardieu, l’acteur fĂ©tiche de Pialat, dans le rĂŽle de Van Gogh. La beautĂ© de la photographie et du cadre, l’inventivitĂ© du montage qui donne au film un rythme profondĂ©ment inhabituel, l’attention de Pialat Ă  l’existence du moindre figurant, sans parler de l’interprĂ©tation magnifique des acteurs et actrices principaux, font de Van Gogh un des titres majeurs du cinĂ©ma contemporain, une Ɠuvre qui se sent un peu seule, hĂ©las, dans notre Ă©poque. Comme Pialat. En 1995, Pialat retrouve Depardieu pour la quatriĂšme et derniĂšre fois, pour Le Garçu. Il lui demande d’ĂȘtre son double cinĂ©matographique, ce qui est nouveau dans leur relation. Un homme infidĂšle quitte sa jeune femme, mais ne parvient pas Ă  se dĂ©tacher d’elle, car il aime passionnĂ©ment son fils de cinq ans et cherche Ă  le revoir par tous les moyens. Le Garçu marque le retour de Pialat Ă  la veine la plus autobiographique de son Ɠuvre, dans la lignĂ©e de Nous ne vieillirons pas ensemble. Les personnages de Pialat vivent dĂ©sormais dans l’aisance, l’argent est dĂ©pensĂ© avec ostentation, mais les relations humaines sont toujours aussi conflictuelles et douloureuses. À la quĂȘte du plaisir, Ă  la difficultĂ© de vivre ensemble s’ajoute l’hystĂ©rie paternelle. Le film se clĂŽt sur la mort du garçu », le pĂšre du personnage interprĂ©tĂ© par GĂ©rard Depardieu, qui fait Ă©cho Ă  l’agonie de la mĂšre dans La Gueule ouverte. Le film, presque dĂ©pourvu de progression dramatique, est constituĂ© d’une succession de morceaux de vie captĂ©s avec beaucoup de sensibilitĂ©. Ce film grave et juste, aux accents dĂ©chirants, fut mal accueilli Ă  sa sortie par le public, qui se jugea sans doute de trop devant ces moments intimes. Quelle erreur. Pialat ne cherche pas l’impudeur, mais il atteint Ă  la vĂ©ritĂ© des ĂȘtres et des choses. En filmant son propre fils Antoine, sentant peut-ĂȘtre la fin venir ce sera son dernier film, il meurt le 11 janvier 2003, Pialat se rapproche des origines du cinĂ©ma, des frĂšres LumiĂšre, tout simplement.
LesRenoir : tel pĂšre, tel fils. Au musĂ©e d’Orsay, l’exposition « Renoir pĂšre et fils – Peinture et cinĂ©ma », du 6 novembre 2018 au 27 janvier 2019, nous prĂ©sente, en huit sections, l’influence qu’a eu le peintre Auguste Renoir sur son fils le cinĂ©aste. Lui-mĂȘme ne dĂ©clarait-il pas : « J’ai passĂ© ma vie Ă  tenter de
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. Le catalogue de l’exposition d’Orsay, en 11 articles aussi rĂ©fĂ©rencĂ©s que passionnants, dĂ©code ainsi ces points de contact entre l’Ɠuvre du cinĂ©aste et du peintre qui vont bien au-delĂ  d’un jeu d’influence et de transposition. A travers des tableaux, des photographies, des costumes, des affiches, des dessins, et des documents, pour certains inĂ©dits, il explore des thĂšmes le rĂŽle du modĂšle fĂ©minin par exemple et des gĂ©ographies la Seine, Montmartre, le Midi communs Ă  deux Ɠuvres que rĂ©unissent peut-ĂȘtre plus sĂ»rement encore un goĂ»t de la libertĂ© et une profonde humanitĂ©. La lecture de ce bel ouvrage vous donne la furieuse envie de courir Ă  l’exposition Renoir pĂšre et fils et de revoir encore et encore La rĂšgle du jeu et La Grande plus si affinitĂ©s
Lessolutions pour PEINTRE ET CINÉASTE de mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s. DĂ©couvrez les bonnes rĂ©ponses, synonymes et autres mots utiles. Outils Utiles . Wordle Mots CroisĂ©s GĂ©nĂ©rateur d'Anagrammes CrĂ©e des mots avec les lettres que tu as Ă  ta disposition RĂ©pondre Classement. Codycross; DĂ©finitions du Jour; Les plus recherchĂ©s. Ringard De Boulanger 10
PubliĂ© le 31 oct. 1995 Ă  101M aurice Pialat a soixante-dix ans, dix films Ă  son actif dont une palme d'or controversĂ©e Ă  Cannes, Sous le soleil de Satan », et un admirable Van Gogh » et... un tout mignon petit garçon, quatre ans aujourd'hui. Alors Maurice Pialat l'irascible, le peintre parfois cruel d'une rĂ©alitĂ© peu romantique, le cinĂ©aste de L'Enfance nue » son premier film, autour d'un petit orphelin et du dĂ©samour cruel des couples Nous ne vieillirons pas ensemble » a voulu se servir de sa camĂ©ra pour rĂ©flĂ©chir sur cette nouvelle donne. En prenant pour hĂ©ros de son nouveau film ce petit garçon lui-mĂȘme, Antoine Pialat, cabotinant sans frein aucun devant son papa Ă  l'Ă©vidence Ă©merveillĂ©. Etonnant, non ? DĂ©concertant Etonnant, et attendrissant. Mais aussi dĂ©concertant. Et, longtemps, dĂ©cevant. DĂšs le prĂ©gĂ©nĂ©rique, c'est Antoine qui mĂšne le jeu, avec son frais babil d'enfant. Brun et vif, drĂŽle souvent, il est partout sur l'Ă©cran, Ă  Paris dans la chambre de sa mĂšre, en vacances Ă  l'Ăźle Maurice, sur les Ă©paules des uns et des autres, sur le bateau avec un gentil indigĂšne, Ă©copant l'eau avec son seau Ă  pĂątĂ©s de sable. Autour de lui, ses parents de cinĂ©ma, GĂ©raldine Pailhas et GĂ©rard Depardieu, pour la quatriĂšme fois complice-interprĂšte du metteur en scĂšne, ont des problĂšmes de couple auxquels on ne comprend d'abord pas grand-chose. Depardieu, ici nommĂ© GĂ©rard, roule en grosse moto et fait de gros cadeaux; Sophie, la maman d'Antoine, pleure souvent, et Antoine, confiĂ© Ă  une fille au pair sympa ou Ă  une halte-garderie trĂšs chic de la rue de Babylone oĂč ses parents se le disputent parfois Ă  la sortie, babille toujours... OĂč va donc le film, et Pialat ? On le comprend vers la fin. Quand, enfin, l'Ă©motion, bien sĂ»r bridĂ©e, Pialat restant le bourru Pialat, jaillit de ce non-scĂ©nario. Quand apparaĂźt Le Garçu » mot patois auvergnat pour garçon ». C'est le grand-pĂšre d'Antoine. Un vieil homme qui se meurt dans La Gueule ouverte », c'Ă©tait une vieille femme, et c'Ă©tait aussi poignant prĂšs d'Ambert, devant des bonnes soeurs impuissantes. DrĂŽles de moeurs Antoine ne le sait pas mais ses parents, rĂ©unis Ă  son chevet, mesurent alors un peu mieux l'importance des liens familiaux, l'irrĂ©vocable fuite du temps, et la nĂ©cessitĂ© de tenter de ne pas le gĂącher. Ils ne vieilliront pas ensemble pour autant mais sauront, semble­t­il, se retrouver suffisamment pour que le petit garçon n'oublie pas son pĂšre... et pour que le film trouve, enfin, sa signification. Celle, une fois de plus, d'une trĂšs juste radiographie, Ă  partir des situations trĂšs personnelles, de nos drĂŽles de moeurs d'aujourd'hui. A noter, outre la prĂ©sence, dans ce film familial, d'Elisabeth Depardieu qui joue l'ex-femme de GĂ©rard, et de l'agent-attachĂ© de presse de Depardieu, Claude Davy, qui est le garçu » moribond, la premiĂšre apparition Ă  l'Ă©cran, dans le rĂŽle de l'amant de la mĂšre d'Antoine, de... Dominique Rocheteau, cĂ©lĂšbre footballeur. Peut-ĂȘtre pas grand comĂ©dien, mais tout Ă  fait sympathique. De toute façon, mĂȘme Depardieu, ici, disparaĂźt derriĂšre le petit Antoine !
CodyCrossSolution pour LE PÈRE ÉTAIT PEINTRE LE FILS CINÉASTE de mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s. DĂ©couvrez les bonnes rĂ©ponses, synonymes et autres mots utiles. Outils Utiles . Wordle Mots CroisĂ©s GĂ©nĂ©rateur d'Anagrammes CrĂ©e des mots avec les lettres que tu as Ă  ta disposition RĂ©pondre Classement. Codycross; DĂ©finitions du Jour; Les plus recherchĂ©s. Grand
L E F R A N C E Fiche technique France, Allemagne, Italie, Russie. - 2003 - 1h24 RĂ©alisateur Alexandre Sokurov ScĂ©nario Sergey Potepalov Image Aleksandr Burov Montage Sergey Ivanov Musique Andrey Sigle Costume Bernadette Corstens InterprĂštes Andrey Shchetinin le pĂšre Aleksey Neymyshev le fils Alexander Rasbash Sacha Fedor Lavrovasukhina Fedor F FICHE FILM RĂ©sumĂ© Le pĂšre et le fils partagent un appartement sous les toits. Depuis des annĂ©es, ils vivent seuls, dans un monde Ă  part, rempli de souve- nirs et de rituels quotidiens. Parfois, on dirait des frĂšres. Parfois mĂȘme des amants. Suivant l’exemple de son pĂšre, Alexei est inscrit Ă  l’Ecole Militaire. Il aime le sport, n’en fait qu’à sa tĂȘte. Son amie lui pose pro- blĂšme. Elle est jalouse de la rela- tion trop intime avec son pĂšre. Et sachant que tĂŽt ou tard, tout fils doit abandonner le foyer familial, Alexei est troublĂ©. Son pĂšre sait qu’il devrait accepter un meilleur poste dans une autre ville, peut-ĂȘtre mĂȘme envisager de se remarier. Mais qui alors consolera Alexei de ses cauchemars ? Jamais un amour entre pĂšre et fils n’aura Ă©tĂ© aussi fort. Critique 
 PĂšre, Fils , aprĂšs MĂšre et Fils , est le deuxiĂšme volet d’une trilo- gie consacrĂ©e Ă  l’étude des rela- tions humaines au sein de la sphĂšre familiale. Disons-le tout de suite, l’accĂšs Ă  cette troublante parabole ne va pas de soi, tant le rĂ©alisa- teur semble gommer dĂšs le dĂ©but toute forme de repĂšres temporels, topographiques le spectateur a la libertĂ© de se perdre en abandonnant son regard sur les corps magnifiĂ©s par une lumiĂšre sĂ©pia et la beautĂ© des paysages, qui deviennent Ă  eux seuls des objets sensuels. Ainsi, voici un pĂšre et son fils cloĂź- trĂ©s dans un appartement qui donne sur la mer. D’eux, on ne sait rien ou presque le pĂšre a arrĂȘtĂ© de tra- vailler aprĂšs avoir quittĂ© son rĂ©gi- ment ; son fils, adolescent en passe de devenir adulte, a pris le relais et est entrĂ© Ă  l’Ecole Militaire. 
 Le 1 PĂšre, fils Otets i syn de Alexandre Sokurov D O C U M E N T S L E F R A N C E 2 plus troublant est la maniĂšre dont l’auteur capte ces contacts aussi charnels qu’équivoques, sans jamais les apparenter Ă  de l’ho- mosexualitĂ©. Si Sokourov filme avec une telle pudeur, une telle attention aux frĂ©missements qui parcourent la chair, c’est peut-ĂȘtre pour mieux restituer une forme de douceur qui manque au monde c’est en tous cas le monde du pĂšre et de son fils qui est canali- sĂ© dans ce rapport fusionnel. Tels une muraille protectrice, leurs enlacements formulent un hypo- thĂ©tique retour Ă  une origine oĂč le pĂšre enfanterait sans la mĂšre la vie comme un retour dĂ©finitif Ă  un masculin, telle serait pour Sokourov la façon d’envisager la paternitĂ©... De cet Ă©tat retrouvĂ©, on ne perçoit pas bien quel est le vrai rapport au rĂ©el. Si bien qu’il ne reste plus que des impres- sions lumineuses, proustiennes, fantasmatiques. Les lieux sont rendus le plus abstrait possible sommes-nous bien en Russie ou dans une quelconque rĂ©gion Ă©thĂ©rĂ©e du Portugal ?, tels des tableaux Ă  l’atmosphĂšre laiteuse et aĂ©rienne. Simon LegrĂ© Tout commence par un corps Ă  corps fiĂ©vreux, des muscles et des bras se tendent, se serrent dans des gros plans qui gardent le mystĂšre sur ces deux ĂȘtres, homme ou femme et sur le sens de leur lutte ou de leur amour. Puis la camĂ©ra s’écarte douce- ment et laisse deviner qu’il s’agit de deux hommes, un trĂšs jeune et l’autre plus ĂągĂ© qui lui donne des conseils sur le monde qui les entoure. Sont-ils amants, sont-ils frĂšres ? Sur les liens entre ce pĂšre et ce fils, Sokourov laisse flotter le doute et l’ambiguĂŻtĂ© quelques minutes de plus le long de ces plans anamorphosĂ©s qui sont sa marque de cinĂ©aste. Chaque ins- tant de PĂšre et fils s’apparente Ă  un songe Ă©veillĂ© ou Ă  un cauche- mar cotonneux et en maintient la mĂ©canique, cette surprise cons- tante, cette attention puissante Ă  des dĂ©tails en apparence insigni- fiants. 
 Plus tard, la jeune fille que [le fils] aime lui lance son collier de verre par la fenĂȘtre, il le serre dans sa paume et rĂ©pond c’est chaud, c’est tout ce qu’il me reste». Car Sokourov pour- suit sa quĂȘte singuliĂšre celle des cinq sens Ă  travers les images cinĂ©matographiques par instants sentir le toucher, le parfum et le goĂ»t d’une peau aimĂ©e, les sons exacerbĂ©s dans une maison fami- liĂšre. Comme d’autres oeuvres de ce cinĂ©aste sorcier, PĂšre et fils par sa beautĂ© profonde et son mystĂšre enivrant reste une des plus belles expĂ©riences Ă  vivre dans une salle obscure et une des plus inoubliables. Delphine Valloire 
 AprĂšs MĂšre et fils 1996, Alexander Sokurov a choisi Ă  nouveau la parabole pour cette deuxiĂšme partie de sa trilogie sur le drame des relations humai- nes. Le rĂ©alisateur qui vit Ă  St Petersbourg, nous conte l’histoire d’un amour profond et dĂ©vouĂ© entre un pĂšre et son fils qui contient davantage d’élĂ©ments mythologiques qu’il ne puise dans la vie rĂ©elle. Ce conte n’a pas ni dĂ©but ni fin, ni aucun point d’an- crage temporel ou gĂ©ographique. Nous sommes dans un rĂȘve, oĂč les toits et les rues Ă©troites d’une ville du nord sont baignĂ©s du soleil du sud, oĂč les costumes des personnages ne nous rappellent ni le prĂ©sent ni le passĂ©, un rĂȘve qui se joue dans un appartement presque surrĂ©el, exception faite de quelques insignes reconnais- sables. Dans ce dĂ©cor mystique et collectif, ce film nous entraĂźne dans les mĂ©andres et les rituels d’adieu d’un couple d’hommes atypique. Couper le cordon ombi- lical est aussi douloureux pour Alexej, le fils, qui a des problĂš- mes avec sa copine et souhaite, comme son pĂšre, faire une carriĂš- re militaire, que le pĂšre, Ă  qui ce fils rappelle sa dĂ©funte femme, le grand amour de sa vie. Pour incarner ces deux rĂŽles, Sokurov a choisi deux comĂ©diens amateurs trop proches en Ăąge pour que l’on ne remette pas en question leur lien filial. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’une relation amou- reuse homosexuelle maquillĂ©e ainsi Ă  cause de leurs liens avec l’armĂ©e et dont les contraintes extĂ©rieures viendront Ă  bout. Avec sa façon bien Ă  lui de faire par- ler les images et d’assembler la bande sonore, le rĂ©alisateur russe nous emmĂšne Ă  nouveau dans un monde hermĂ©tique, sans repĂšres temporels ou spatiaux. 
 Martin Rosefeldt D O C U M E N T S L E F R A N C E 3 Entretien avec le rĂ©alisa- teur PĂšre, fils, le nouveau film d’Alexandre Sokourov, sort aujourd’hui sur nos Ă©crans. Rencontre avec le cĂ©lĂšbre Russe Ă  Saint-PĂ©tersbourg. C’est au coeur des studios Lenfilm, dans un Saint-PĂ©tersbourg enneigĂ©, que nous avons rencontrĂ© Alexandre Sokourov. Alors qu’il prĂ©pare "son" Hirohito . La traduction du titre russe est "PĂšre et fils". Le film sort en France sous le titre PĂšre, fils . Qu’en pensez-vous ? Alexandre Sokourov. Cette ver- sion française me plaĂźt. Avec "et", le pĂšre et le fils sont ensemble alors qu’avec une virgule, ils sont sĂ©parĂ©s. "PĂšre et fils" induit un contexte religieux, biblique, "PĂšre, fils" prend un sens nouveau mais il s’agit toujours d’une forme additionnelle. Dans le premier cas, ils sont rĂ©conciliĂ©s. Dans le second, l’un devient l’autre, se mĂȘlant de maniĂšre fusionnelle comme des ruisseaux. Cette rela- tion est douce comme une cares- se. Les caresses du pĂšre et de la mĂšre restent dans la mĂ©moire des enfants lorsque leurs parents meurent. Cette mĂ©moire des sens est aussi dans l’image de la Vierge qui tient le Christ dans ses bras. C’est la chaleur et la tradition du geste qui crĂ©ent une confiance sans limite. Cette relation charnelle est cul- turelle. Alexandre Sokourov. Le pĂšre et le fils sont des modĂšles de vie comme deux miroirs face Ă  face. Cette relation devrait ĂȘtre cultu- rellement d’importance mais ne l’est pas. Elle n’est pas Ă©tudiĂ©e de maniĂšre approfondie dans la littĂ©rature. Pas plus que la rela- tion mĂšre-fille... Bergman l’a montrĂ© maintes fois de maniĂšre douloureuse, voire terrifiante. Les guerres entre les membres d’une famille ne m’intĂ©ressent pas. Ce n’est pas ma culture. Si des ĂȘtres se dĂ©chirent, ce ne peut-ĂȘtre que par amour mais le conflit n’expli- que rien, n’éclaire rien. Le pĂšre a Ă©tĂ© militaire et le fils est dans une Ă©cole militaire... Votre pĂšre Ă©tait militaire. Ce choix vous est-il passĂ© par la tĂȘte ? Alexandre Sokourov. Le pĂšre donne l’exemple, le fils suit son chemin. Sans rĂ©flĂ©chir. C’est comme les insectes qui muent. C’est Ă©pidermique. Je regarde mon hĂ©ros trĂšs attentivement pendant une pĂ©riode trĂšs courte de sa vie. Il n’est pas exclu que par la suite, il considĂšre son choix avec une certaine ironie et mĂȘme se demande comment cette idĂ©e saugrenue lui est venue Ă  l’esprit. J’ai eu moi-mĂȘme cette envie mais pas trĂšs longtemps parce que mon pĂšre Ă©tait trĂšs dur. Il m’a justement manquĂ© ce que j’ai inventĂ© dans mon film qui est un conte fait pour que les pĂšres et les fils se regardent et Ă©chan- gent des sentiments parmi les plus chauds, les plus doux et les plus tendres qui soient. Ces senti- ments sont trop souvent refoulĂ©s, ce qui entraĂźne le conflit familial. C’est difficile d’exprimer intel- lectuellement un lien charnel. Alexandre Sokourov. Le sens pro- fond de cette relation vient du fait que c’est le pĂšre qui a "fait" le fils. C’est pourquoi on doit aimer son pĂšre et le respecter. C’est un devoir naturel. Sans ĂȘtre toujours d’accord avec son pĂšre, on ne peut pas transgresser des liens qui sont sacrĂ©s. L’homme n’est pas aussi libre qu’il le croit. Aimer est un travail qui consis- te Ă  savoir prendre ses distan- ces. Lorsqu’un enfant naĂźt, il est physiologiquement issu de ses parents mais il peut ĂȘtre l’enfant de ses arriĂšre-arriĂšre-grands- parents. C’est naturel. Lorsqu’il naĂźt, l’enfant n’a pas d’ñme. C’est le travail de ses parents de lui en donner une. Pour qu’il devienne un ĂȘtre humain. Mais quand un pĂšre dit "Tu es mon fils, pour- quoi te comportes-tu ainsi ?", le fils ne peut pas comprendre que cet "Ă©tranger" se permette de lui demander d’ĂȘtre diffĂ©rent de ce qu’il est. Que signifie ĂȘtre le fils de quelqu’un ? Ce n’est pas de l’ordre d’une relation sociale mais d’un sentiment intĂ©rieur, dĂ©tachĂ© de toute contingence. Comme dans MĂšre et fils, ce sentiment s’exprime Ă  travers la peinture, la lumiĂšre intĂ©rieure. Le cinĂ©ma est fait d’autres arts, c’est ce que j’appelle le symphonisme. Le sens symphoniste du cinĂ©ma est sa tonalitĂ©. Comme dans une sym- phonie musicale, l’"intonation" peut ĂȘtre agrĂ©able comme dĂ©sa- grĂ©able mais l’ensemble reste merveilleux et complexe. Si la musique domine aussi, c’est parce qu’elle vient des profon- deurs. C’est un art sans fioritu- res, essentiel dans PĂšre, fils oĂč l’éthique demande harmonie et beautĂ©. Dans PĂšre, fils , la mĂšre est morte et le fils n’assume pas sa relation avec une jeune fille. Cela vient-il d’un historique des Ă©vĂ©ne- ments familiaux ? Alexandre Sokourov. La prĂ©sen- L E F R A N C E D O C U M E N T S 4 ce d’une mĂšre et d’un pĂšre n’est pas formelle. La mĂšre vivante, mĂȘme Ă©loignĂ©e, donne une assu- rance Ă  la vie de son enfant. Dans Moloch et Taurus , les "hĂ©ros" sont malheureux dĂšs l’enfance car il n’y a pas de bonheur sans la mĂšre. Dans PĂšre, fils , la mĂšre est partie trop vite. Le vide aurait Ă©tĂ© tout aussi profond si c’était le pĂšre qui Ă©tait disparu. La per- sonne qui part avant l’heure est une Ăąme qui n’a pu effectuer son devoir. La premiĂšre rencontre entre le fils et la jeune fille se fait alors qu’elle le regarde du haut d’un balcon c’est le "regard" d’une mĂšre sur un fils dĂ©sarmĂ©. Il comprend alors que sa vie ne peut ĂȘtre aboutie sans la prĂ©sence de la mĂšre, qu’il lui faudra effectuer un immense travail intĂ©rieur pour surmonter cet obstacle. Car le pĂšre et le fils s’aiment mais sans percevoir pourquoi l’amour et la tendresse qui existent entre eux ne permettent pas la comprĂ©hen- sion. 
 Entretien rĂ©alisĂ© par MichĂšle Levieux traduit du russe par Elena Karpel Le rĂ©alisateur NĂ© en 1951 en SibĂ©rie, Alexandre Sokourov a grandi en Pologne et au TurkmĂ©nistan, suivant son pĂšre officier de carriĂšre. De 1969 Ă  1974, il rĂ©side Ă  Gorki oĂč il est Ă©tudiant Ă  la facultĂ© d’histoire et assistant rĂ©alisateur pour la tĂ©lĂ©vision. Jusqu’en 1979, il suit les cours de l’école de cinĂ©ma de Moscou, dans le dĂ©partement des Sciences populaires, dirigĂ© par Alexandre Zgouridi. En guise de film de fin d’étude de vingt minu- tes, il termine en 1978 son pre- mier long mĂ©trage La voix soli- taire de l’homme . Le film est refusĂ© par l’école et n’obtient pas l’autorisation d’ĂȘtre projetĂ©. Les films qu’il tourne Ă  partir de 1980 au Studio de films documentai- res de Leningrad connaissent les mĂȘmes difficultĂ©s de diffusion. MalgrĂ© le soutien de Tarkovski, il faut attendre 1986 pour que les films de Sokourov puissent ĂȘtre projetĂ©s. Alexandre Sokourov a rĂ©alisĂ© environ trente films documen- taires ou de fiction. Il est dĂ©sor- mais reconnu comme un des plus importants rĂ©alisateurs russes contemporains. Fiche distributeur Filmographie La voix solitaire de l’homme 1978 Sonate pour Hitler 1979 Le dĂ©gradĂ© 1980 Sonate pour Alto Dim itri Chostakovitch 1982 Et rien de plus 1982 La mĂ©moire des coeurs brĂ»lĂ©s 1983 L’offrande du soir 1984 Patience labeur 1985 ÉlĂ©gie L’indiffĂ©rence chagrine 1987 ÉlĂ©gie moscovite Le jour de l’éclipse 1988 Sauve et protĂšge 1989 ÉlĂ©gie soviĂ©tique ÉlĂ©gie pĂ©tersbourgeoise C in Ă© -J o u rn a l C h ro n iq u e lĂ©ningradienne n°5» 1990 Le deuxiĂšme cercle A propos des Ă©vĂ©nements de Transcaucasie Un exemple d’intonation ÉlĂ©gie simple La pierre 1992 ÉlĂ©gie de Russie 1993 Pages cachĂ©es Les voix de l’ñme 1995 ÉlĂ©gie Orientale 1996 MĂšre et fils 1997 Otets i syn 2003 PĂšre, fils Documents disponibles au France Revue de presse Pour plus de renseignements tĂ©l 04 77 32 61 26 SALLE D'ART ET D'ESSAI C L A S S É E R E C H E R C H E 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE RÉPONDEUR Fax kriD.
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